Le 25 janvier 2024, je publiais l’interview croisée de Gwenola JOLY-COZ et Eric CORBAUX, chefs de la cour d’appel de Poitiers sur les violences intrafamiliales (VIF).
Le mardi 6 février 2024, la proposition de loi que porte Isabelle SANTIAGO visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes de violences intrafamiliales était examinée en deuxième lecture au Sénat : « Rétablissons le texte initial en commission mixte paritaire ».
Aujourd’hui, je donne la parole à Isabelle SANTIAGO, députée de la 9ème circonscription du Val-de-Marne, vice-présidente de la Commission de la défense nationale et des forces armées qui me disait un jour une phrase clef à la compréhension de l’enfant :
« Le temps de l’enfant n’est pas celui de l’adulte. »
Préambule interviews VIF : Isabelle ROME et Marie LAWRYSZ (Justice), Dorothée CLOÎTRE et Laurent KAISER (Gendarmerie nationale), Gabrielle AZAN et Caroline MOUGNAUD (Police nationale)… Le Livre blanc de la sécurité intérieure.
QUELLE EST VOTRE ACTUALITÉ ?
La proposition de loi que je porte visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes de violences intrafamiliales a été examinée en deuxième lecture au Sénat le mardi 06 février 2024.
Je ne peux que me réjouir du rétablissement partiel de l’article 1, qui avait été dévitalisé en Commission des Lois le 31 janvier dernier.
En effet, cet article 1, essentiel pour une meilleure protection de l’enfant et de son parent protecteur, prévoit la suspension de l’exercice de l’autorité parentale durant toute la durée de la procédure judiciaire en cas de crime ou agression sexuelle incestueuse sur son enfant ou pour crime commis sur l’autre parent.
Le second dispositif de cet article, supprimé en Commission des Lois et non rétabli en séance, concernait la suspension de l’autorité parentale en cas de violences conjugales avec ITT de huit jours en présence (au sens large) de l’enfant.
Il me paraît fondamental que cette disposition soit présente dans la version finale du texte, à sa sortie de CMP. Il est essentiel de rappeler que l’exposition à plusieurs formes de violences durant l’enfance peut faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie. 60% des enfants exposés à des violences conjugales développent des troubles graves de stress post-traumatiques.
Dans l’optique de protéger le plus tôt possible les enfants victimes de violences intrafamiliales, nous nous attacherons à rétablir en commission mixte paritaire la première version du texte adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Cette version appelle une législation plus impérative, et par conséquent plus protectrice des enfants, et n’est aujourd’hui mise en difficulté que par sa rapporteure au Sénat – rapporteure dont la position diverge de celle de ses homologues députés. Je tiens à remercier les sénatrices et sénateurs mobilisés en faveur de la version initiale de ce texte.
Il est désormais temps d’agir en faveur des plus vulnérables d’entre nous.
QUEL EXPOSÉ DES MOTIFS ?
Près de 400 000 enfants en France vivent dans un foyer où des violences intrafamiliales sévissent. Dans 21,5 % des cas, ils en sont directement victimes, dans tous les cas, ils en sont témoins.
Or, comme le rappelait Victor Hugo, « il n’est pas de violences sans lendemain ». Tous les témoignages reçus le confirment : les violences subies ou l’exposition à des violences dans l’enfance créent des souffrances physiques et psycho‑traumatiques extrêmes et durables.
Ces faits dramatiques appellent à une politique globale et ambitieuse de prévention, de repérage et de prise en charge des psycho‑traumastismes, mais également à un traitement judiciaire des violences intrafamiliales qui prenne mieux en compte l’intérêt de l’enfant et qui le protège plus efficacement du parent violent.
C’était bien dans cet objectif que Laurence Rossignol, ancienne ministre du président Hollande, avait présenté, le 1er mars 2016, un plan interministériel de lutte contre les violences faites aux enfants avec ce slogan « Enfant en danger : dans le doute agissez ! ». Ce plan visait notamment déjà à :
– renforcer la protection des enfants dans les décisions de justice en matière d’autorité parentale dans le contexte des violences conjugales ;
– et reconnaître, dans le droit pénal, l’enfant en tant que victime de violences psychologiques lorsqu’il est exposé aux violences conjugales.
Depuis, après avoir longtemps minimisé les violences sur les enfants et leurs effets, la société brise peu à peu son silence et ses réticences « à se mêler des affaires des autres », et « texte » après « texte », la législation progresse. Les lois du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales ont notamment permis :
– la suspension de plein droit de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour un crime envers l’autre parent ;
– la possibilité de retrait de l’autorité parentale du parent condamné pour un délit, et plus seulement pour un crime, commis sur son enfant ou sur l’autre parent.
Pourtant, ces dispositions restent insuffisantes. Elles démontrent, à elles deux, par leur incomplétude, à quel point les enfants restent en marge des réflexions législatives et politiques liées au thème des violences conjugales…
– dans le premier cas, comment envisager qu’un parent poursuivi pour des violences sexuelles incestueuses contre son enfant puisse conserver son autorité parentale et son droit de visite le temps de la procédure ?
– dans le second, comment imaginer qu’un parent condamné pour agression sexuelle sur son enfant ne se voit pas retirer automatiquement l’autorité parentale sur ses enfants ?
Face à cet enjeu majeur de société et de santé publique, il est temps de mener une lutte déterminée contre les violences intrafamiliales et d’assurer une protection complète des enfants qui en sont victimes.
Ainsi cette proposition de loi propose de renforcer les dispositifs juridiques existants en suspendant de plein droit l’autorité parentale du parent poursuivi pour agression (article 1er), et en lui retirant de manière systématique en cas de condamnation (article 2).
– Le temps de la procédure pénale, la suspension automatique de l’autorité parentale ne peut concerner uniquement les crimes contre l’autre parent : elle doit être élargie aux délits les plus graves, mais aussi, et surtout, aux crimes contre l’enfant lui‑même
Une procédure pénale peut s’étaler sur plusieurs années, et pendant tout ce temps il est nécessaire de protéger l’enfant de son parent suspecté d’être violent.
L’ordonnance de protection délivrée par le juge ne suffit pas toujours pendant le temps de la procédure : « 72,6 % des mères d’enfants mineurs obtenant une ordonnance de protection [ont été] contraintes d’exercer leur autorité parentale avec le conjoint, qui les a vraisemblablement violentées et mises en danger, elles et leurs enfants » démontre une enquête de 2019. Afin d’éviter ces situations, il indispensable de suspendre de manière automatique l’autorité parentale jusqu’au jugement définitif dans certains cas.
Ainsi, la suspension de l’exercice de l’autorité parentale, ainsi que des droits de visite et d’hébergement, doit être automatique lorsque les violences sur l’autre parent ont entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours. Surtout, cette suspension s’impose dès lors qu’il y a une poursuite du parent pour viol ou agression sexuelle envers son enfant.
C’est l’objet de l’article 1er.
– En cas de condamnation, le retrait de l’autorité parentale ne peut être une simple possibilité : elle doit être rendue automatique pour certains crimes et délits
Enfin, lorsque le parent est condamné pour certains crimes et délits de violences intrafamiliales, l’autorité parentale n’a plus lieu d’être : « Un parent violent ne peut être un bon parent ». Selon l’article 371‑1, l’autorité parentale a pour finalité l’intérêt enfant, qui se trouve pourtant bafoué dès lors qu’un parent exerce des violences intrafamiliales. Pire, elle peut devenir un élément d’emprise sur son enfant ou sur l’autre parent.
Dès lors qu’un parent est condamné pour viol ou agression sexuelle contre son enfant ou pour un crime ou des violences ayant entrainé une incapacité totale de travail de plus de huit jours commis sur la personne de l’autre parent, il parait alors inconcevable de lui maintenir son autorité parentale. Le retrait doit être automatique.
C’est l’objet de l’article 2.
Cette proposition de loi n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions des violences intrafamiliales, mais à défaut d’un projet de loi transversal et d’une loi de programmation pluriannuelle du Gouvernement, que nous attendons depuis plusieurs années, elle propose de reprendre les mesures prioritaires identifiées par les acteurs afin de mieux, et vite, protéger les enfants victimes, directes ou indirectes, de violences intrafamiliales, physiques, sexuelles, incestueuses ou psychologiques. La navette parlementaire sera l’occasion, en concertation avec les parlementaires et le gouvernement, de la compléter.
Ces dispositions sont issues des travaux menés avec les associations de victimes en 2021, qui avaient été repris dans une proposition de loi par Marie TAMARELLE-VERHAEGHE, mais qui seront restés vains puisque la proposition n’aura jamais été examinée, malgré les attentes fortes des acteurs. Elles sont également le fruit d’un travail étroit avec le Conseil National de la Protection de l’Enfance et suivent les recommandations de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE). Elles confirment ce que notre groupe a défendu à plusieurs reprises, par voie d’amendements sur différents textes.
Le temps de l’enfant, n’est pas le temps de l’adulte, il y a urgence à protéger les milliers de mineurs victimes d’incestes et de violences sexuelles en France !