Interview de Anne-Catherine ROBERT-HAUGLUSTAINE, Directrice générale du musée de l’Air et de l’Espace (Aéroport de Paris-Le Bourget)

Le 3 février 2022 – Miss Konfidentielle a rencontré Anne-Catherine ROBERT-HAUGLUSTAINE, Directrice générale du musée de l’Air et de l’Espace, situé à l’Aéroport de Paris-Le Bourget. De nature enthousiaste et dynamique, rigoureuse et pédagogue, vous allez comprendre l’ampleur du challenge relevé depuis sa prise de poste. Une interview très enrichissante en bien des points.

Bonjour Anne-Catherine,
Quelle est l’évolution de votre parcours au sein du musée de l’Air et de l’Espace ?

Depuis le 1^er janvier 2018, je suis la directrice du musée de l’Air et de l’Espace, un établissement public sous la tutelle du ministère des Armées. J’ai pris la succession de Catherine MAUNOURY qui était élue présidente de l’Aéro-Club de France.

Mon arrivée a étonné un peu car je ne suis pas issue de l’armée, ni pilote, ni même française … j’étais belge ! C’était la première fois que le musée était dirigé par une personnalité du monde civil nommée par la ministre des Armées, Madame Florence PARLY.

LA FEUILLE DE ROUTE

La ministre m’a transmis une feuille de route dont les missions principales étaient de moderniser, développer et rendre le musée accessible à l’international. Un très beau challenge.

Le constat

Dans le monde il n’existait pas d’équivalent à ce musée. Le musée de l’Air et de l’Espace a été créé en 1919, il y a donc plus de 100 ans, sur la base de prototypes d’avions avec une collection unique liée aux ballons, l’aérostation. Ainsi, c’est le seul musée au monde qui regroupe l’histoire des ballons, de l’aviation (militaire, civile), et de la conquête de l’espace. À Washington aux États-Unis, le musée de l’Air et de l‘Espace n’a pas de collections dans le domaine de l’aérostation. En Europe, les musées traitent généralement d’une des deux thématiques, aviation ou spatial.

Le chantier de la nouvelle organisation du musée

Arrivée début 2018, j’ai lancé le chantier de la refonte et de la modernisation de l’organisation du musée via un nouvel organigramme. Après une étude approfondie de l’organigramme, j’ai compris que les personnes n’étaient pas forcément adaptées à leurs postes et il manquait des effectifs à des postes clefs. Le chantier de la nouvelle organisation du musée a pris six mois. La nouvelle organisation repose sur les collections et le public, les deux axes de notre action. Le Secrétariat général assure toutes les fonctions « support ». La Direction de la communication et du numérique est dite « agile » et le service Sécurité est rattaché à la direction.

L’organigramme actuel du musée

Comme je vous le disais, il y a des règles dans un musée, si les personnes ne sont pas précisément dans la bonne entité et la bonne fonction, cela ne fonctionnerait pas correctement. Je prends l’exemple de la médiation, un tria préparatoire en amont et ensuite sur le terrain, que nous pouvons avoir avec des groupes d’enfants ou d’adultes, ou encore des familles et des personnes en situation de handicap.

Nous avons donc des départements organisés :

• Le Département scientifique et de collections dirigé par Marie-Laure GRIFFATON, qui regroupe 36 personnes.  Les effectifs sont spécialisés selon les typologies des objets des collections. Il y a entre autres les collections techniques (aérostation, avions, espace, armement, moteur, etc.) et les collections d’anthropologie et d’objets d’art. Nous avons récemment créé le Département conservation préventive, restauration, régie et entretien des collections dont les équipes sont réparties entre le musée et les ateliers d’entretien et de restauration à Dugny. Par ailleurs, le Centre de recherche et de documentation gère des fonds documentaires importants très prisés des chercheurs et des spécialistes.
• Le Département du développement des publics et du marketing regroupe toutes les fonctions « visiteurs ». Il est dirigé par Alice CHARBONNIER. L’effectif est de 25 personnes ayant pour dossiers la programmation événementielle, la location des espaces du musée et les tournages, les expositions, les actions pédagogiques et culturelles et les relations aux publics, qui comprennent l’accueil des visiteurs.
• Le Secrétariat général, dirigé par Laurence BASTIEN, gère l’ensemble des services et des fonctions « support ». Composé de 27 personnes, on y retrouve les pôles bâtiments, RH, finances, IT et les affaires juridiques.
• La Direction de la communication et du numérique, dirigée par Yu ZHANG et composée de 6 personnes.
• Le service Sécurité avec 4 agents, sous la responsabilité de Willy WARGNIER. Comme nous sommes dans une zone aéroportuaire, nous travaillons directement avec Madame Sophie WOLFERMANN, préfète déléguée auprès du préfet de Police pour la sécurité des plateformes aéroportuaires de Paris-Charles-de-Gaulle, de Paris-Orly et du Bourget. La Sécurité peut travailler sur des sujets sensibles et est rattachée directement à la direction.

D’autres fonctions transverses sont également rattachées directement à la Direction, notamment le mécénat ou les liens armée-nation. En fonction des projets d’envergure, des chargés de mission accompagnement la Direction dans leur gestion.

Au total, le musée de l’Air et de l’Espace, qui est un établissement public administratif (EPA) sous plafond d’emplois, compte 100 personnes parmi ses effectifs.

Une organisation efficace, en cohérence avec la ligne ministérielle

Le musée est un établissement qui a une organisation efficace, des budgets dédiés et lorsqu’il y a besoin de renfort, nous avons les moyens de trouver les ressources nécessaires. Chaque événement organisé au musée se doit d’être en accord avec l’image du musée et du ministère des Armées.

Le Conseil scientifique et le COP

À mon arrivée, j’ai relancé le Conseil scientifique dès juillet 2018 avec lequel nous avons des réunions biannuelles durant lesquelles nous présentons les dossiers scientifiques, les projets liés aux collections, les actions envers le public et les actions de communication. Avec l’équipe de direction, nous avons préparé en 2018-2019 le nouveau Contrat d’objectifs et de performance (COP) 2020-2024. Il a été signé lors du Salon international de l’aéronautique et de l’espace (SIAE) le 17 juin 2019 par la ministre, Madame Florence PARLY, et la Ministre déléguée, Madame Geneviève DARRIEUSSECQ. Ce document est notre feuille de route pour les années à venir. C’est très structurant pour les équipes et la tutelle.

La rédaction du PSC

Le PSC signifie le Projet scientifique et culturel, il définit les grandes orientations d’un musée et se doit d’être régulièrement revu. Le PSC du musée de l’Air et de l’Espace a été préparé par l’ensemble des équipes avec une méthodologie organisée en groupes de travail sur des thématiques diverses. La note d’orientation a été votée en 2019 et le PSC en 2020, lors du Conseil d’administration. Le PSC avait également été présenté au Conseil scientifique des musées nationaux, au ministère de la Culture. Nous travaillons en effet en lien avec le ministère des Armées et le ministère de la Culture.

En réalité tout se lit dans le PSC. Avec l’aide de ces documents et le travail de scénographie de de la Grande Galerie, il a fallu écrire les textes et gérer la mise en place.
Le 9 décembre 2019, la Grande Galerie, avec deux expositions permanentes dans une nouvelle scénographie ouverte et épurée, a été inaugurée par la ministre, Madame Florence PARLY.

Liens renforcés avec l’armée de l’Air et de l’Espace

Le Centre d’Études Stratégiques Aérospatiales (CESA) de l’armée de l’Air et de l’Espace, dirigé par le général Julien SABÉNÉ met à disposition du musée une personne chargée de faire le lien Armée-Nation dans le cadre de nos programmes de médiation. Le lieutenant-colonel Jean-Marie ABADIE est en charge de cette mission.
Le lien avec l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) est excellent et les actions sont nombreuses, je pense notamment à l’actualité du Concert de la Musique de l’air, qui aura lieu le samedi 12 février 2022. Je pense aussi aux peintres de l’Air et de l’Espace – dont l’exposition à l’automne 2021 a été un réel succès – et à tout le patrimoine de l’armée de l’Air et de l’Espace, dont certains appareils emblématiques sont en dépôts au musée. Le Jaguar A91, témoin de l‘opération Tempête du Dessert lors de la Première Guerre du Golfe, et un exemplaire de l’Epsilon, sont ainsi les deux plus récents dépôts à intégrer les collections du musée.

Le CESA fait le lien avec les bases aériennes et c’est ainsi que nous avons pu monter une exposition avec la base aérienne de Creil et le Centre Militaire d’Observation par Satellites 1/92 Bourgogne (CMOS). Cette exposition temporaire, intitulée Voir et Observer, l’imagerie spatiale militaire, a su trouver son public et sera exposée prochainement sur la base de Creil.

Dans cette optique, nous recherchons toujours l’équilibre entre la valorisation du musée de l’Air et de l’Espace et de ses partenaires.

Un tournant aujourd’hui

Nous sommes dans un tournant avec des grands projets du COP 2020-2024.

« Projet ASTREOS »

Nous préparons un espace de 4000 m2 après avoir déplacé les avions de collection qui étaient en réserve dans les Halls A et B du musée. Il visera à expliquer le développement de l’aviation commerciale depuis 1945. On y ajoutera l’aviation de loisirs, légère et de voltige. Un planétarium numérique financé par la Région Ile-de-France et une salle d’exposition temporaire viendront se joindre au projet. La réalisation de cette entreprise ambitieuse est prévue pour fin 2024. L’équipe de suivi de la construction du bâtiment et l’équipe de suivi sur le contenu scientifique travaillent en parallèle avant de converger pour la création de ce nouveau hall au musée.

« Projet de médiathèque-ludothèque »

Le Centre de recherche et de documentation sera déplacé dans le nouvel écrin de la Grande Galerie du musée pour la fin de 2022. Trois espace sont ainsi prévus :  la ludothèque, la médiathèque grand public et la médiathèque chercheurs. Ces espaces sont en travaux avec une inauguration prévue pour la fin de l’année. La Région Ile-de-France et le ministère des Armées soutiennent financièrement ce projet. Il s’agit d’un projet important car il permet une  démocratisation culturelle. Les musées doivent être des lieux inclusifs, de dialogue, avec des médiateurs, des conférenciers qui interagissent avec les visiteurs. Au musée, nous nous préparons aux événements des JO 2024, à une belle insertion dans le Grand Paris, avec l’arrivée de la ligne 17 du métro prévue en 2026.

« Expositions temporaires »

Nous préparons plusieurs expositions temporaires dont Up to Space, qui sera inaugurée en juin 2022. L’exposition a été réalisée en partenariat avec les collègues du centre de science Universum® à Brême, en Allemagne, et la Fondation Caixa en Espagne. Une autre thématique passionnante, Les années folles de l’aviation, fera l’objet d’une exposition prévue pour l’automne 2023. L‘exposition temporaire Antoine de Saint-Exupéry. Un Petit Prince parmi les Hommes, en montage actuellement à Bruxelles, terminera sa tournée européenne au musée en été 2024 durant les Jeux olympiques de PARIS 2024.

« La tour de contrôle »

Nous avons monté un partenariat avec la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC) afin de proposer une exposition permanente dans la tour de contrôle du musée sur les thématiques de la navigation aérienne et du contrôle aérien. L’exposition aura pour vocation de répondre à des questions comme « Qu’est-ce que le métier de contrôleur aérien ? » et « Comment surveiller les mouvements des avions en vol ? ».

Les actualités du moment 

Tout récemment, nous avons reçu la maison Pierre Cardin le 28 janvier 2022 pour le défilé hommage à son créateur, « Cosmocorps 3022 ». Éblouissant ! Nous accueillons ainsi des événements privés qui se déroulent au sein même du musée et dans des espaces prévus à cet effet, souvent en dehors des heures d’ouverture et notamment pendant les jours de fermeture du musée.

En même temps, nous étions présents à La Fabrique Défense à la Villette, bien placés à l’entrée du Salon avec la DPMA et les équipes de médiation du musée ont assuré les présentations tout au long du week-end du 29 janvier 2022.

Les 22 et 23 février 2022, nous accueillerons enfin au sein du musée, fermé pour l’occasion, la réunion informelle rassemblant tous les ministres des transports dans le cadre de la PFUE 2022.

Vous avez d’autres activités professionnelles … Racontez-nous

Je suis historienne de formation. J’ai soutenu ma thèse à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, où je suis très investie aujourd’hui en tant qu’enseignante en Master 2 « Patrimoine et Musée » (gestion de projets culturels européens). Dans le cadre de mon enseignement, je fais travailler la promotion de 25 étudiants sur la réalisation d’un projet culturel. À cela s’ajoutent les suivis des stages et les soutenances de mémoire.

Cet enseignement en Master 2 « Patrimoine et Musée » est important pour moi car il est le lien avec les futurs professionnels du monde de la culture et ramène aux bases. Il permet de s’informer, d’évoluer et de rester connecter à ce qui se passe dans nos musées.

Membre du Conseil scientifique de la Cité de l’Économie Paris – Citéco depuis août 2018, j’y apporte mon expertise, notamment sur les questions des publics et du PSC. Les membres du Conseil scientifique, économistes de renom international, apportent un éclairage qui rendent les réunions passionnantes.

Élue membre de l’Académie des technologies en novembre 2019, et membre de son comité des travaux en décembre 2021, je suis investie dans le pôle Culture, Loisirs et Sport, de l’institution avec des réflexions essentielles sur l’avenir de l’industrie française, le rôle des objets techniques par exemple.

Colonel de la Réserve citoyenne armée de l’Air et de l’Espace (ADER) depuis octobre 2019, j’aide au maximum les Adériens sur des sujets transverses comme l’égalité, la parité et les RH. L’ensemble du ministère est d’ailleurs très investi sur la question du plan égalité, et les femmes commencent à avoir de plus en plus de fonctions à responsabilité au sein des structures placées sous sa tutelle.

Place maintenant aux loisirs qui vous animent le plus

Je suis née à Liège, une ville belge bordant la Meuse et située en Wallonie. Cette ville historique est connue pour ses princes-évêques, sa gastronomie et sa culture dont le musée Cursius, avec une collection exceptionnelle d’armes à feu. J’ai eu la chance de beaucoup voyager et je me suis installée en Alsace quelques années. Je reste très attachée à cette région magnifique, agréable à vivre et dotée d’une culture foisonnante. Musées, théâtres, bibliothèques, tout est là pour passer des journées riches en promenades et visites.

Pour les vacances, j’aime partir en randonnée avec mon sac à dos à travers le monde, en famille.

Le sac à dos permet d’être libre, de s’arrêter où l’on veut et quand on veut.

Les pays que j’ai particulièrement aimés sont tous les pays des Balkans, dont la Bosnie l’été dernier. Djibouti et le Cap Vert m’ont beaucoup impressionnée. J’apprécie le sens de l’accueil, la culture de ces pays et le challenge que peut constituer leur géopolitique complexe. Mes fonctions à l’UNESCO, comme directrice générale de l’ICOM – le Conseil international des musées, une ONG qui définit les musées et apporte son soutien aux professionnels du monde entier – ont renforcé ma sensibilité aux pays des Balkans, aux pays du Golfe et au patrimoine culturel en danger (trafic illicite, pillage, reconstruction, etc.).

La visite d’expositions temporaires me suit depuis l’enfance, j’y suis attachée et j’aime parcourir les expositions aux sujets divers. La dernière en date était au musée des Arts et Métiers où j’ai revisité la collection permanente en suivant les dessins de l’artiste-illustrateur Lapin.  Il a également réalisé une résidence artistique au musée de l’Air et de l’Espace en juin 2021, dont a été un carnet qui vient de paraître aux éditions Privat. Deux séances de dédicaces sont même prévues les samedi et dimanche 5 et 6 février 2022 à la boutique du musée.

« La terre nous en apprend plus sur nous que tous les livres. Parce qu’elle nous résiste. L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle. » Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes (1939)

Un grand remerciement Anne-Catherine pour votre accueil très agréable. Une belle expérience que d’apprendre de vous, et ainsi de mieux comprendre le large spectre que représente la direction générale du seul musée au monde qui regroupe l’histoire des ballons, de l’aviation (militaire, civile), et de la conquête de l’espace. Vous avez des crayons sur votre bureau de toutes les couleurs et toutes provenances culturelles. Ils attirent le regard et invitent à vous poser des questions avec le sourire. C’est ainsi que nous avons eu un échange touchant relatif à la transmission du savoir. J’ai choisi un crayon au hasard, il me correspondait bien, c’est amusant … lors de ma prochaine visite, je vous apporterai un crayon ! Il sera peut-être alsacien.. un point que nous avons en commun.

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