Entre 2017 et la mi-2023, plus de 3 Md€ de crédits de l’État ont été engagés pour le secteur culturel en dehors du budget du ministère de la culture, soit presque l’équivalent d’une année des crédits de la mission culture de ce dernier. Avec une ampleur sans précédent, ces crédits exceptionnels viennent s’ajouter au budget ministériel et ont pour ambition de soutenir le secteur de la culture et des industries culturelles et créatives après la crise Covid, mais aussi de financer leur innovation et leur transformation, à travers le plan de relance (1,6 Md€ consacrés à la culture) et les programmes d’investissement d’avenir et France 2030 (1,5 Md€ consacrés à ce secteur). Réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, la présente enquête s’inscrit dans le prolongement de travaux de la Cour sur ces procédures inédites.
Un plan de relance orienté vers la sauvegarde du secteur
Annoncé à la sortie de l’été 2020, dans le contexte de la crise sanitaire, le plan de relance visait un soutien aux revenus du secteur. Doté d’1,6 Md€ pour la culture et adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2021, il a été intégralement engagé. En raison du contexte sanitaire, il a été en grande partie constitué de mesures relevant de l’urgence. Ce plan a permis de stabiliser la situation budgétaire et financière de nombreux acteurs et plus globalement la sauvegarde du secteur culturel. En revanche, son second objectif : accélérer les transformations économiques, industrielles et sociales, probablement trop ambitieux dans le cadre d’une action conjoncturelle, n’a été que marginalement engagé. Cette intention, de dépenser le plus vite possible les crédits de l’État, a, par ailleurs, eu un effet inflationniste dans certains secteurs et a pu se faire au détriment d’autres enjeux de politique publique. Les crédits de relance qui ont été gérés par l’administration, ont pu être réalloués en fonction des besoins effectivement constatés. En revanche, faute de clauses de retour à meilleure fortune, ceux confiés à des opérateurs au titre de la relance ne sont pas restitués au budget de l’État quand bien même leur situation le permettrait. Les contrôles visant à récupérer des indus auprès de certains bénéficiaires d’aides demeurent marginaux. Par ailleurs, le risque de pérennisation de certains dispositifs financés sur crédits exceptionnels n’est pas totalement écarté.
Des PIA 1 et 3 : une absence de stratégie d’ensemble pour le secteur culturel
Le programme d’investissement d’avenir (PIA) 1 dans le champ culturel et celui des industries culturelles et créatives présente un bilan insatisfaisant. Dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt, « Culture, patrimoine et numérique » et d’un fonds industries culturelles et créatives (ICC-Tech and Touch), des entreprises au modèle économique fragile ont été financées. Elles ont, depuis, connu de graves difficultés. Les projets des sociétés financées relèvent parfois d’une conception extensive des industries culturelles ou n’en font pas partie, comme des produits de consommation éthiques et durables. Ces premières expériences d’investissement dans le secteur culturel (à hauteur de 70 M€ à mi-2023) ont souffert d’une absence de stratégie formalisée avec le ministère de la culture. Ce qui s’est aussi traduit par une réflexion lacunaire sur les outils mobilisés, sur la typologie des projets structurants et les effets d’accélération recherchés. Quant au PIA 3, il a été utilisé pour financer de grands travaux patrimoniaux (à hauteur de 193 M€), utiles certes, mais sans lien avec l’objectif d’innovation et d’accélération attaché à ce dispositif interministériel.
France 2030 : des moyens considérables sans analyse préalable de besoins ni suivi
Après le plan de relance, fin 2020, l’État a décidé d’engager 400 M€ dans le cadre du PIA 4, pour mettre en œuvre la stratégie d’accélération des industries culturelles et créatives. Puis, à l’automne 2021, ont été annoncés 600 M€ destinés aux industries de l’image et du numérique, dans le cadre de France 2030. Fin 2022, le PIA 4 a été rattaché à France 2030 ce qui porte l’effort pour son volet culturel à 1 Md€ au total. La stratégie « France 2030 » pour le secteur culturel est peu lisible et les processus décisionnels lourds, tandis que l’éparpillement de l’information rend le suivi très difficile. Surtout, la volonté de lancer rapidement des appels à concurrence a pu conduire à ne pas aborder des sujets stratégiques et à privilégier les projets les plus matures ou portés par les secteurs les plus structurés comme les industries de l’image. Les études préalables des besoins et du fonctionnement des marchés s’avèrent insuffisantes si bien que des effets d’aubaine ont été relevés. Enfin, les opérateurs financiers de sa mise en œuvre, Caisse des dépôts et Bpifrance, sont mis en position de verser surtout des subventions, mission qui relève en principe du ministère de la culture.
Premiers enseignements
La prise de décision pour engager les crédits des PIA et de France 2030 conduit à déresponsabiliser des intervenants : en particulier, le ministère de la culture est dessaisi de ses missions de pilotage stratégique et de contrôle sur des crédits équivalents à une part significative de son budget annuel. Par ailleurs, le pilotage des PIA et de France 2030 déroge aux principes des finances publiques (annualité, spécialité, unité, voire sincérité) sans permettre au Parlement d’exercer son rôle de contrôle. En conclusion, la Cour souligne la nécessité d’introduire une culture d’évaluation dans ces dépenses exceptionnelles.
Un rapport de la cour des comptes instructif, il permet de mieux comprendre les missions de nos institutions républicaines.
Source : Cour des comptes, le 20 mars 2024