07 avril 2023 – Une rencontre humaine très agréable et touchante avec Delphine Scandella, chargée de mission de la Gendarmerie nationale à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives depuis le 1er juillet 2022. La MILDECA, rattachée aux services de la Première ministre est dirigée par Nicolas PRISSE.
Bonjour Delphine,
Vous êtes chargée de mission de la Gendarmerie nationale à la MILDECA.
Expliquez-nous vos missions.
Je suis affectée au titre de ma scolarité de l’enseignement supérieur du deuxième degré, que l’on appelle anciennement École de Guerre, pour une durée de 3 ans au sein de la MILDECA.
J’occupe des fonctions à la fois régaliennes en lien direct avec mon métier de gendarme, puis des fonctions plus variées. Concernant les sujets plus variés, il s’agit d’une volonté de notre Président Nicolas PRISSE de positionner les chargés de missions sur des thématiques au sein desquelles ils ont peu l’habitude d’évoluer. Je prendrais pour ma part l’exemple des conduites addictives autour du sport et des événements sportifs, en plus des contacts avec les territoires. Je suis en effet référente de quatre régions métropolitaines (Hauts de France et Bretagne) et outre-mer (Martinique et Guadeloupe), ce qui signifie l’accompagnement des Préfectures dans la mise en œuvre de la stratégie interministérielle de lutte contre les conduites addictives.
Donc pour les missions régaliennes, outre la gestion traditionnelle du ‘’fonds de concours drogue’’ avec mon administration d’origine, je poursuis les travaux de mon prédécesseur Thierry DEROZIER sur la règlementation des débits de boissons. Cela inclus la refonte du code de la santé publique que l’on appelle plus globalement le code des débits de boissons afin de le rendre plus pratique et lisible pour les professionnels, les élus et le tissu associatif. Cela signifie également que j’assure une veille et fournis des conseils juridiques auprès de ce public pour les aider dans leur quotidien. Avec quels professionnels ou associations travaillez-vous sur les débits de boissons ? Je travaille notamment avec l’UMIH, Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, et également avec la FNCOF, Fédération Nationale des Comités et Organisateurs de Festivités. Il s’agit d’une structure apparue dans notre sphère l’été dernier. Cette fédération agit dans chaque département pour raviver l’esprit de la fête au sein des communes, en aspirant aussi à la sécuriser. Nous avons mis à jour une fiche technique destinée à leurs représentants pour vulgariser la réglementation sur les débits de boissons temporaires. Nous continuons à co-construire des projets à leur profit.
Je travaille également sur le volet ‘’sécurité routière’’. A ce titre, je représente la MILDECA auprès de la Délégation à la Sécurité Routière et ses différentes représentations, notamment la Commission ‘’santé-comportement pour une mobilité responsable’’ présidée par Philippe LAUWICK au sein du Conseil National de la Sécurité Routière (CNSR). J’apporte donc mon expérience et mon expertise pour formuler des propositions qui pourraient être adoptées en CISR pour mieux prévenir les risques liés à la consommation d’alcool et de stupéfiants au volant, ainsi que les mésusages du téléphone portable en mobilité. Ma mission de liaison avec la sécurité routière inclus aussi des échanges avec la nouvelle Déléguée interministérielle à la sécurité routière, Florence GUILLAUME, sur des thématiques d’actualité.
Dans un autre domaine, nous œuvrons avec mes collègues de la Police Nationale et de l’Éducation nationale sur l’évolution d’un protocole que l’on appelle le protocole de Dreux. Il qui prévoit l’intervention de policiers et de gendarmes spécialisés auprès des élèves, principalement en collèges et lycées, pour leur faire prendre conscience des risques liés à la consommation des substances psychoactives. Quel est le rôle de la MILDECA dans le cadre du protocole de Dreux ? La MILDECA mobilise les trois administrations afin de mieux cibler les interventions pour que le message soit suffisamment construit et compris par les adolescents. Le but étant de retarder leur entrée dans les consommations, ou en tous cas en limiter les effets. C’est pour cela que je travaille en lien direct avec la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale, et notamment le bureau des partenariats et de la prévention de la sécurité de la sous-direction de l’emploi des forces commandé par la colonelle Sylvia SAINT-CIERGE. J’ai récemment construit une mallette pédagogique à sa demande pour mettre à disposition des gendarmes affectés en Maison de Protection des Familles des outils de communication et d’information. Ces gendarmes interviennent en effet dans les collèges et lycées pour diffuser des messages de prévention, il était donc utile et nécessaire de leur fournir des données fiables et produites par la Mildeca, l’Office Français des Drogues et des Tendances Addictives (OFDT) et Santé Publique France (SPF).
FOCUS SUR LES MINEURS
Cette mission relie en quelque sorte une de mes principales thématiques consistant à protéger les mineurs par le respect des interdictions de vente, que l’on appelle dans notre jargon « les interdits protecteurs ».
La MILDECA édicte des plans pluriannuels dans lequel elle définit des priorités, des axes de travail. La protection des jeunes figure toujours dans les priorités de la Mildeca.
Pourquoi ? Parce que si on reprend les chiffres dont tout le monde entend parler, aujourd’hui en France, l’alcool et le tabac tuent respectivement chaque année 41000 personnes et 75000 personnes pour le tabac. C’est ce que l’on appelle les morts évitables. L’alcool est donc la seconde cause de mortalité évitable mais aussi la première cause de mortalité chez les personnes de moins de 30 ans. En France, sur 3200 morts par an sur nos routes, un tiers est dû à l’alcoolisation de soi-même ou des autres. Or on se rend compte qu’à 17 ans, les jeunes ont aussi expérimenté ces produits, en plus du protoxyde d’azote, des jeux d’argent et de hasard et le cannabis qui lui est un produit illicite.
A 17 ans, 15% des jeunes fument régulièrement la cigarette et plus d’un jeune sur deux a déjà connu une période d’alcoolisation ponctuelle importante (API) dans le mois écoulé, ce que l’on appelle par exemple le binge drinking, au cours du mois écoulé.
Pourquoi cherchez-vous à protéger les mineurs de ces substances ? Les études démontrent que jusqu’à 25 ans environ le cerveau d’un adolescent n’est pas encore construit donc il est toujours en cours de maturation. La consommation de ces substances, notamment l’alcool et le cannabis, va avoir un impact direct sur la construction du cerveau et provoquer des effets non réversibles. Ces substances peuvent provoquer des troubles neurologiques, des troubles du comportement, des troubles cognitifs qui vont peut-être empêcher l’adolescent d’aller au bout de ses études, d’obtenir un diplôme, voire par la suite d’obtenir un travail et s’insérer dans la vie active.
Le législateur s’est saisi du sujet en posant des interdictions de vente aux mineurs, mais malgré tout 90% des mineurs reconnaissent s’acheter en toute liberté des cigarettes, vont boire de l’alcool dans un bar… ou achètent sans contrainte de l’alcool dans les supermarchés. Je déborde un peu sur ce sujet mais il me semble important de rappeler les enjeux et de mobiliser tous les acteurs pouvant intervenir à leur niveau : à savoir les parents dans un premier temps qui initient leurs enfants à goûter à l’alcool lors d’un repas d’anniversaire ou d’une fête familiale. La consommation de tabac ou les jeux d’argent et de hasard au sein des foyers favorisent la reproduction de ces conduites addictives. Il s’agit aussi de mieux sensibiliser les professionnels de la vente sur les risques qu’ils encourent administrativement et judiciairement et mobiliser les forces de sécurité de l’intérieur à contrôler régulièrement le respect de la règlementation pour mettre les produits à distance du jeune public.
Quels sont vos conseils aux parents et aux mineurs qui nous lisent ? Au sein du cercle familial, il faudrait « idéalement » que les parents ne consomment pas ou ne jouent pas devant les enfants pour ne pas les exposer aux produits ou en banaliser les usages. Ainsi, il est nécessaire que les parents soient vigilants sur leur propre consommation, mais aussi sur le rapport que leurs enfants peuvent avoir avec les produits disponibles à la maison ou à l’extérieur. Pour les jeunes, il est parfois difficile de résister à la pression du groupe au risque de s’isoler de ses pairs c’est pourquoi la Mildeca travaille sur le développement de programmes de prévention tels que les compétences psychosociales, la fête sans alcool (no-low) et la réduction des risques. Si j’ai donc un message pour les jeunes vis-à-vis des produits ce serait celui-ci : « la vie est courte, profitez de votre jeunesse mais ne vous gâchez pas la vie !!! ».
Peut-on aborder les dégâts du protoxyde d’azote ? Le protoxyde d’azote est un gaz tout sauf hilarant. Il s’agit d’une substance assez récente et libre d’accès à usage alimentaire. En revanche depuis 2021, la vente du protoxyde d’azote est interdite aux mineurs. Nous en connaissons bien désormais les effets et ils sont catastrophiques parce que l’on peut avoir des effets directs tels que des brûlures, des vertiges, des asphyxies, pertes de connaissance. A moyen et long terme, le gaz produit des effets sur le système nerveux et peut provoquer des pertes de sensibilité ou de sensations dans les membres et entraîner des handicaps des handicaps sévères. C’est un produit dont les ravages sont très souvent sous-estimés par les consommateurs dans le milieu festif.
Quelles actions menez-vous sur le terrain pour protéger les mineurs ? Nous mobilisons activement les acteurs autour des interdictions de vente aux mineurs, comme je l’expliquais précédemment. Une expérimentation a été conduite dans plusieurs territoires, à savoir les Hauts de France, la Martinique et La Réunion. Cette expérimentation consistait à sensibiliser les acteurs (commerçants, élus, forces de l’ordre) sur les enjeux et à contrôler la bonne application de la loi dans les débits de boissons et de tabac.
Cette expérimentation a plutôt bien fonctionné, notamment dans les Hauts-de-France et aussi sur l’Ile de la Réunion. Elle est encore en cours à la Martinique. On ressent de la part des acteurs un réel besoin de mettre de la distance entre les jeunes et les substances psychoactives. La Préfecture de La Réunion a fait produire des spots publicitaires percutants sur l’alcool et le tabac et des collégiens se sont également mobilisés pour produire une vidéo sur les dangers de la Puff (vaporette jetable). La phase suivante consiste donc à coordonner et formaliser l’action de tous les acteurs disposant de leviers pour intervenir à leur niveau pour que les commerçants demandent de manière systématique une pièce d’identité à leurs jeunes clients et refusent de vendre des cigarettes, de l’alcool, du protoxyde d’azote, et des jeux d’argent et de hasard.
De manière à mieux vous connaître, quel est votre parcours professionnel ?
La gendarmerie pour moi est une vocation même si mon père qui était gendarme ne m’a jamais poussée à embrasser cette profession. De lui, j’ai appris les avantages et les contraintes du métier mais aussi l’humilité car il a eu une carrière exemplaire, empreinte d’humanité vis-à-vis de ses hommes et de tout public. Je suis donc entrée en connaissance de cause pour apporter mon concours à la justice et aux victimes, comme l’a fait mon père auparavant. Je dois avouer que mon incorporation en école de Montluçon en 1999 a suivi celle d’une de mes sœurs. A ma sortie d’école en 2000, ma sœur ainée nous a succédé. Nous sommes donc trois sœurs et toutes les trois gendarmes, et cela mon père ne l’avait pas anticipé !
A ma sortie d’école, j’ai intégré une brigade territoriale dans les Ardennes, souhaitant débuter ma carrière dans un environnement familier. Puis j’ai souhaité me spécialiser dans les enquêtes judiciaires. En aout 2004, j’ai pris mon envol à la section de recherches de Dijon en Bourgogne où j’ai pu développer mes compétences à la fois sur les volets de l’observation/surveillance mais aussi dans la lutte contre les trafics de stupéfiants. Pendant cette période, j’ai passé le concours des officiers de la gendarmerie pour gagner en responsabilités et parce que c’était une volonté très forte d’évoluer dans ce métier.
J’ai intégré l’école des officiers de la gendarmerie en 2007 pour deux années de scolarité et à la sortie, sans surprise, j’ai décidé de retourner dans le monde judiciaire. J’ai pu intégrer mon 1er commandement à la section de recherches de Rouen à la tête de la division des atteintes aux biens pour travailler sur le spectre de la criminalité organisée. A l’issue mes chefs m’ont proposé la création d’une unité de surveillance à Rouen, j’ai donc relevé le défi à toutes les étapes, de la commande du portemanteau au recrutement de mon équipe !
En 2015, j’ai voulu rejoindre l’échelon central toujours en conservant mon prisme judiciaire. J’ai donc reçu une affectation à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale au bureau des enquêtes judiciaires. J’y ai découvert une autre facette de la gendarmerie car il s’agissait de défendre en toute neutralité les intérêts de l’Institution face à la remise en cause de son action ou de celle de ses agents. Cela passe par des enquêtes sensibles, techniques, parfois médiatiques pour lesquelles il faut savoir dégager la pression extérieure pour délivrer aux magistrats les faits et rien que les faits qui leur permet ensuite de prendre une décision éclairée. Cette affectation s’est avérée pour moi une véritable aventure humaine, à la fois intense et dimensionnante.
En 2019, j’ai pris le commandement de la compagnie départementale de Coulommiers, située en Seine-et-Marne, à l’activité très variée et soutenue. J’ai commandé 180 gendarmes réparties sur plusieurs unités : un PSIG, une brigade de recherches, groupe d’enquêtes et de protection des familles, 6 brigades et une brigade de contact. J’ai pu aborder un large panel de missions, que ce soit la prévention au contact des élus (97 élus sur ma circonscription composée de 97 communes autour de Coulommiers) et j’ai pu aborder la lutte contre les atteintes aux biens, la lutte contre les cambriolages, et surtout la lutte contre les violences intrafamiliales. J’ai ainsi pu faire évoluer un groupe d’enquêtes et de protection des familles et le doter d’une salle d’audition Mélanie pour réinstaurer une proximité avec les victimes. Les élus se sont impliqués, et notamment la communauté de communes de Coulommiers Pays de Brie par la mise à disposition d’une intervention sociale et la mise à disposition de mobilier pour la création de la salle d’audition Mélanie. Je pense tout spécialement à Mme Patricia LEMOINE, députée de la circonscription et Mme. Laurence PICARD, maire de Coulommiers. J’ai par ailleurs accueilli à deux reprises des autorités en visite officielle sur une de mes brigades sensibles à La Ferté-sous-Jouarre, à savoir Monsieur Laurent NUNEZ, alors Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur et Monsieur Gérald DARMANIN, Ministre de l’Intérieur, tous deux venus constater les difficultés du terrain et apporter leur soutien aux militaires de la gendarmerie. Je garde un excellent souvenir de ce temps de commandement qui fut pour moi particulièrement sollicitant mais néanmoins passionnant.
Puis je suis arrivée à la MILDECA en l’été 2022. La MILDECA est en quelque sorte le trait d’union entre le travail de répression, de lutte quotidienne contre les stupéfiants et ce prisme prévention que l’on développe au sein de la MILDECA sur nos thématiques. La prévention est un travail malheureusement sous-estimé parce qu’il est difficile à l’évaluer ou à en mesurer les effets immédiats. Et pourtant l’enquête ESCAPAD de l’OFDT nous démontre que les actions répressives ET préventives portent leur fruit sur la consommation des jeunes puisque les niveaux de consommation de tabac, alcool et cannabis diminuent de manière constante depuis 2014.
Ce travail inclus l’accompagnement des territoires dans la formulation, la réalisation et le suivi de plans de lutte contre les addictions. Cela signifie des contacts réguliers avec les collectivités mais aussi les Préfectures dont je suis référente pour apporter le soutien nécessaire aux différents acteurs.
La dernière question : quels sont vos loisirs ?
Si je devais dresser une liste de mes loisirs, je dirais qu’ils ont évolué depuis la naissance de ma fille il y a trois ans. Avant d’être maman, je pratiquais la plongée sous-marine, je fréquentais régulièrement les salles de cinéma, je voyageais beaucoup à l’étranger et pratiquais de nombreux sports, comme la boxe pieds/poings avec mon conjoint qui est fonctionnaire de police. J’occupais aussi mon temps libre à dévorer tous les romans de Mary Higgins Clark et Patricia Cornwell.
Depuis cet heureux événement intervenu dans ma vie en 2019, mes activités sont totalement différentes : bien que je parvienne à suivre quelques cours de boxe avec un super coach, mes loisirs sont centrés autour des aires de jeux pour enfants, des zoos, des musées, des spectacles pour enfants et de la Pat’Patrouille (à la télé, en livre, en jouets, en vêtements, nous avons toute la panoplie). Et bien sûr mes lectures tournent autour des œuvres telles que La Petite Sirène, Dumbo, Pinocchio, Peter Pan… et j’allais oublier la Reine des Neiges évidemment.
J’avoue que cela me rappelle mon enfance, mais surtout cela me permet de passer du temps avec ma fille et ma famille, ce qui est pour moi inédit et tellement exaltant !
Nous adorons également profiter du grand air de la montagne, c’est pourquoi nous passons régulièrement nos vacances en Haute-Savoie, dans un cadre à la fois apaisant et revigorant.
Mille merci Miss Konfidentielle pour ce temps d’échange sur des sujets d’importance, dans le cadre d’un entretien placé sous le signe de la bienveillance. A très bientôt j’espère !
Un remerciement Delphine pour votre plein engagement dans vos missions de la gendarmerie. Notre entretien était empreint d’humilité. Vous vous êtes livrée à Miss Konfidentielle avec enthousiasme et sincérité. Une rencontre marquante. Je vous souhaite une longue vie de maman heureuse !
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