Le 11 janvier 2023 – Très honorée de rencontrer M. Laurent NUÑEZ, préfet, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) dès 2020, puis nommé préfet de police de Paris par décret du 20 juillet 2022. L’entretien se déroule au siège de la préfecture de police de Paris, 1 rue de Lutèce, en présence de madame Loubna ATTA, porte-parole de la PP de Paris. Une interview exclusive avec des questions personnelles, permettant un regard inédit sur monsieur Laurent NUÑEZ.
Monsieur le préfet,
Au regard de votre titre, quel est le cadre de vos missions ?
Le préfet de police est le patron des politiques de sécurité, d’ordre public, d’anti-terrorisme, et d’anti-délinquance, à Paris, et en petite couronne. Certaines missions, comme la circulation ou la sécurité dans les transports en commun empruntant la voie ferrée, emportent également sa compétence sur toute la région Île-de-France. Le préfet de police coordonne ainsi l’action des différents préfets en grande couronne, mais je rappelle que sa compétence est directe en matière de sécurité à Paris, dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis, et dans le Val-de-Marne, depuis 2009, en considérant qu’il fallait une seule autorité de police pour l’agglomération, dans la mesure où la délinquance ne s’arrête pas aux limites administratives des départements. Dans ce contexte, c’est déterminant d’avoir une unité de police. Tous les fonctionnaires de police agissant dans les quatre départements de l’agglomération sont placés sous mon autorité.
A la préfecture de police, il y a deux particularités importantes : mon portefeuille comprend, à côté des missions citées, les polices administratives qui concourent aux missions de sécurité. À titre d’exemple on peut citer le contrôle des débits de boissons, le respect de la réglementation par la profession des taxis… La seconde particularité, c’est que j’exerce, pour partie, des compétences qui, dans des communes ordinaires, sont exercées par le maire. Ce dernier point explique qu’une partie du budget de la préfecture de police est financé par la ville de Paris.
Dans ce cadre, les missions qui sont les miennes sont celles que le ministre m’a confiées lorsque j’ai été installé dans mes fonctions en juillet dernier.
Ma première mission est de poursuivre le travail de mon prédécesseur. Ce travail constitue le socle, notamment en matière d’ordre public. Pour le compléter, le ministre de l’Intérieur m’a fixé une feuille de route, avec un certain nombre d’objectifs, sur lesquels il m’a demandé de m’investir pleinement.
En premier lieu, il s’agit de lutter contre la délinquance. Je m’y emploie depuis mon arrivée à Paris, et dans l’agglomération parisienne : à cette fin, j’ai déployé des plans d’action visant à améliorer la visibilité des policiers sur la voie publique, mais aussi visant à mieux occuper l’espace, à des moments et dans des endroits plus stratégiques pour lutter plus efficacement contre la délinquance. Je fais donc en sorte d’adapter finement nos dispositifs pour faire baisser les phénomènes de délinquance. On a des premiers résultats encourageants, il faut poursuivre le travail initié, sur le long terme. Il faut donc rester modeste.
Le second objectif est de continuer à lutter contre la problématique des stupéfiants : le trafic de stupéfiants génère d’autres formes de délinquance. Les deals dans les cités entraînent des nuisances pour les riverains, des violences, des actes d’intimidation. En luttant contre le stupéfiant, on lutte contre tous ces comportements délictueux. À Paris, je m’implique particulièrement, comme me l’a demandé le ministre, sur la lutte contre le crack, qui est un sous-ensemble de la politique globale de lutte contre les stupéfiants menée dans l’agglomération. Nous avons démantelé la scène ouverte de consommation implantée square Forceval à Paris 19ᵉ. Je veille aujourd’hui à ce qu’aucun espace de consommation à ciel ouvert ne se reconstitue. Les effectifs de voie publique procèdent à des évictions et interpellent les vendeurs de crack. Les services judiciaires s’investissent pour démanteler des réseaux. Cet autre point est également un objectif, que les policiers poursuivent sous l’autorité des magistrats. Lorsque le président a été élu en 2017, il a souhaité développer une politique multi-dimensionnelle, qui réponde aux besoins des usagers : c’est la sécurité du quotidien partout en France avec des effectifs présents sur la voie publique, et l’action judiciaire renforcée pour démanteler des réseaux et agir en profondeur. On cible les réseaux qui nuisent à la tranquillité des riverains. Depuis juillet 2020, date à laquelle cette action résolue a été amplifiée sous la houlette de Gérald Darmanin, on est passé de 513 points de deal à 370 sur l’agglomération. A Paris, on est passé de 67 à 51. Le but est bien sûr de tous les démanteler, notamment à l’approche des JO.
Les jeux olympiques et paralympiques 2024 constituent un enjeu majeur. Pendant cette période, en raison de modifications législatives en cours, qui visent à me confier des compétences élargies en matière de sécurité, je serai compétent sur l’ensemble de l’Île-de-France. Le Président de la République souhaite avoir une autorité unique sur les questions de sécurité pendant les jeux. Évidemment, les préfets de départements, placés au plus près des réalités locales, seront pleinement acteurs de la sécurité des JOP, mais il est nécessaire d’avoir une instance de coordination et d’arbitrage.
Les JOP pour la préfecture de police, c’est d’abord la préparation de la sécurisation des sites, des épreuves, des transports en commun, pour que les spectateurs et les athlètes puissent vivre cet évènement en toute sécurité. À côté de cela, et comme me l’a demandé le ministre, il y a la lutte contre la délinquance, Paris et l’Île-de-France accueillant 85 % des jeux. Ainsi, une très grande partie des spectateurs et des touristes seront présents sur notre territoire. La lutte contre la délinquance est donc un enjeu déterminant. On est à l’ouvrage, on travaille pour réduire les poches de délinquance là où elles persistent, en priorité à proximité des sites accueillant les jeux : au Bourget pour le village médias, à Saint-Denis pour le village olympique, au Trocadéro, à Bercy…
Et le 3ème volet des JOP, qui est un vrai challenge, c’est l’organisation de la cérémonie d’ouverture, qui pose un certain nombre de défis, que nous allons relever : la gestion des flux autour d’un fleuve, la sécurité terrestre, fluviale et aérienne, la cérémonie au Trocadéro, dans un site ouvert, avec de nombreux chefs d’Etat.
Donc on travaille sur tous ces défis, l’échéance se rapproche. Un an et demi passe très vite.
Le dernier enjeu, c’est assurer la sécurité des manifestations. Depuis 2016, les manifestations de voie publique attirent des individus se revendiquant de diverses mouvances, qui rejoignent les cortèges dans le but de les faire dégénérer. Mon challenge est important, il est de permettre à la liberté de manifestation de s’exercer – ceux qui souhaitent manifester paisiblement doivent pouvoir le faire – et d’empêcher les fauteurs de trouble d’agir, en les écartant. Et ce n’est pas toujours simple, surtout quand les fauteurs de trouble se placent au milieu du cortège pacifique, c’est la technique des black blocs.
Ma méthode est de discuter en amont et pendant la manifestation avec les organisateurs, pour éviter que ces fauteurs de trouble n’intègrent les cortèges. En l’absence d’organisateur, les modes d’action de la police sont extrêmement fermes, l’objectif étant de ne pas tolérer de débordements. J’ai discuté personnellement avec les organisateurs de la manifestation de la NUPES le 16 octobre, puis ceux de l’intersyndicale du 18 octobre. Dans ces deux manifestations, il y avait plusieurs centaines d’individus qui cherchaient à perturber le bon déroulement des rassemblements, mais on a réussi dans les deux cas, avec la méthode appliquée, à intervenir et à les isoler, pour permettre au cortège de progresser.
Nous nous sommes rencontrés à la soirée de la remise du Prix du Quai des Orfèvres 2023, dit PQO 2023, le 08 novembre au 36. Quel est votre ressenti de la soirée ?
Tout d’abord, c’est la première fois que j’assistais à cet événement. J’ai été numéro 2 à la préfecture de police entre 2012 et 2015 mais je n’y étais jamais allé.
C’était donc une double satisfaction d’y être. J’ai rencontré de nombreux amis, cela fait longtemps maintenant que j’évolue dans le monde de la sécurité et je connais plusieurs « grands flics ». J’ai constaté qu’ils étaient nombreux à être présents, qu’ils soient issus de la branche judiciaire ou d’autres horizons. J’ai toujours plaisir à les retrouver. Et puis c’est l’occasion de rencontrer des journalistes spécialistes des questions de sécurité, que je côtoie depuis de nombreuses années.
C’est un moment agréable parce que l’on se rend compte que la police a une image qui reste très positive. Que des personnes viennent, et soutiennent par leur présence les forces de sécurité, c’est quand même rassurant !
Ce matin j’étais justement à la remise d’une décoration à la BRI, force d’intervention de la PP. À cette remise, il y avait Jean Dujardin et cela fait plaisir de voir des personnes, des artistes qui aiment bien la police.
Ce sont des moments de convivialité, des moments dans la police nationale qui ont vraiment du sens. C’est compliqué avec le monde extérieur parfois, donc on aime bien se retrouver entre nous pour échanger. Des anciens peuvent me raconter pour la 10ème fois la même chose, mais j’écoute toujours leur histoire comme si c’était la première fois qu’ils me la contaient (sourire) en faisant semblant d’être surpris. Peut-être que j’ai commencé à faire la même chose sans m’en rendre compte (rire) !
Quelles sont les étapes majeures de votre parcours ?
J’ai fait une carrière de haut fonctionnaire assez «classique», même si vous me dites le contraire !
Je suis né à Bourges, j’y tiens, c’est ma terre de naissance, ce n’est toutefois pas la terre d’origine de mes parents. Je suis allé au lycée dans les quartiers assez populaires de cette ville, qui le sont restés aujourd’hui. Mes parents y vivent toujours, ils s’y sentent bien. J’ai passé mon bac à Bourges, et ai fait mes études de droit à Tours. Le Berry a forgé mon caractère : toujours rester humble et simple et surtout sacraliser le respect de la parole donnée. Chez moi, les mots engagent.
J’ai d’abord occupé des fonctions très techniques : pendant cinq ans, j’ai exercé en tant qu’inspecteur des impôts, c’était un rôle très régalien. Puis j’ai passé et réussi le concours de l’ENA, et j’ai suivi un parcours comme seule l’administration en offre. En 1999, j’ai intégré le ministère de l’Intérieur à la direction générale des collectivités locales, avant de devenir sous-préfet, secrétaire général de la préfecture de Haute-Saône. A compter de 2008, neuf ans après ma sortie d’école, je n’ai plus occupé que des fonctions liées au monde de la sécurité : directeur du cabinet du préfet de la Seine-Saint-Denis, sous-préfet à Bayonne, directeur de cabinet du préfet de police, préfet de police des Bouches-du-Rhône, DGSI, CNRLT, et surtout ministre, ce qui est unique, et je suis revenu dans l’administration, ce qui ne s’était jamais fait en tant que préfet. Cela se fait plus couramment pour les ambassadeurs, je pense à Catherine Colonna, Jean-Pierre Jouyet, qui ont été ministres, et qui sont retournés dans le corps des ambassadeurs ensuite.
Lorsque j’ai exercé au gouvernement, je n’ai jamais perdu l’idée de retourner dans l’administration. Certes, il s’agissait d’un engagement politique mais j’ai toujours veillé à exercer cette fonction dans le respect des oppositions pour préserver une certaine neutralité, que l’on attend des hauts fonctionnaires de l’administration. Évidemment, ce n’est pas moi qui décide mais c’est ce qu’il s’est passé : j’ai été nommé préfet de police. Et je note que personne ne s’est insurgé contre ma nomination, y compris dans les rangs de l’opposition où certaines figures m’ont même témoigné leur satisfaction.
Vous avez longtemps joué au foot n’est-ce pas ?
Oui très longtemps ! J’ai beaucoup joué au foot et ça ne m’a pas empêché de passer l’ENA ! J’ai joué dans des clubs en 3F, en championnats universitaires, j’ai disputé la coupe de France des Finances… j’ai ensuite été capitaine d’équipe à l’ENA, ce sont des bons souvenirs en tant que joueur.
J’ai arrêté à 39 ans, à cette époque j’étais sous-préfet. J’aurais bien aimé continuer, j’avais obtenu ma mutation dans le club local, mais le préfet de département a préféré que je m’abstienne. C’était dommage, le club était très content de me recruter, il était d’un niveau inférieur à celui que je quittais. Je devais être leur défenseur central pendant une saison et finalement je les ai regardés depuis les tribunes. Vous voyez, il y a vingt ans seulement, le monde préfectoral ne baignait pas dans la modernité…
D’autres passions vous animent-elles ?
Je fais de la course à pied lorsque je peux, ce qui n’est pas toujours facile depuis ma prise de poste.
Je suis très famille, le temps de la détente est plutôt réservé à ma femme et mes filles, je priorise les dîners en famille, les marches avec mon épouse le dimanche.
J’aime bien la chasse aussi, que je pratique quand je le peux – trop rarement – chez moi dans le Cher. C’est comme, en son temps, le football, cela me permet de retrouver mes amis, c’est festif et je retrouve bien sûr mes parents également.
Quel message souhaitez-vous transmettre à la jeunesse ?
Mon parcours montre qu’il ne faut jamais douter de soi, tout est possible à condition de travailler et de ne jamais désespérer ou se laisser impressionner par les autres. Il faut toujours avancer, croire en soi, ne pas se comparer. Ne jamais se laisser dire « ce n’est pas possible ». Il ne faut pas être complexé par rapport à son origine, son milieu.
Et on n’est pas obligé d’avoir un parcours d’élite pour réussir dans la vie, il ne faut pas complexer. Je sais qu’il est plus facile de dire cela à 58 ans qu’à 22 ans mais c’est très vrai.
Vous savez, je travaille tous les jours depuis maintenant quinze ans. Je suis passionné par mon métier mais plus tard, quand tout s’arrêtera, je rêve d’aller dans les collèges et lycées des quartiers dits « difficiles » même si je déteste ce terme, pour parler aux jeunes de mon expérience. Je ne cautionne pas ce que j’appellerais la « dictature » de la culture générale. Il y a des gens qui sont très intelligents, très vifs d’esprit, très performants et ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas eu une éducation ou les fréquentations leur ayant permis d’acquérir une culture générale ou certains « codes » qu’ils n’auront pas un avenir brillant. Il faut juste qu’ils s’en persuadent.
Je mesure l’honneur et la confiance accordés à Miss Konfidentielle d’être reçue par monsieur le préfet Laurent NUÑEZ. Un remerciement appuyé.
Un message à madame Loubna ATTA, porte-parole de la préfecture de police de Paris, et son équipe communication. Un remerciement pour l’accueil professionnel.
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