Le 09 août 2022 – Un honneur et une joie de rencontrer Alain Thirion, Directeur général de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises. L’entretien a mené aux missions du préfet, à son regard porté vers l’été 2022 chargé en actualités pour la Sécurité Civile, à des messages adressés à la population avec un focus sur les jeunes. Nous avons échangé, avec recul, sur les moteurs qui l’ont fait avancer professionnellement puis évoqué ses passions, ses loisirs.
Bonjour Alain,
Quelles sont vos missions depuis votre prise de fonction ?
Je suis arrivé en août 2019, et il y avait dans ce cadre plusieurs démarches importantes en cours.
D’abord bien inscrire la Sécurité civile et faire en sorte que cette Sécurité civile soit dans une dynamique totalement adaptée à l’évolution des risques.
Cela s’est traduit notamment par un travail important qui a abouti à une loi de sécurité civile, dite loi Matras, qui couvre tous les champs, avec plus de 60 articles.
Cela a été évidemment l’enjeu international, notamment européen de faire en sorte que cette dimension soit pleinement prise en compte et même que la France soit une locomotive dans ce domaine.
Et puis, avec l’ensemble des acteurs, développer cette communauté formidable propre à la Sécurité civile.
Vous avez en réalité des acteurs de la Sécurité civile qui ont des statuts totalement différents. Vous avez des fonctionnaires d’Etat, des fonctionnaires de collectivités locales, vous avez les sapeurs-pompiers, les contractuels d’Etat, les policiers, les sapeurs pompiers bénévoles, les associations de sécurité civile. Tout cela représente une communauté de presque 350 000 personnes, ce qui est considérable, et cette communauté a une particularité, c’est que quelle que soit sa diversité, elle partage l’ensemble des valeurs et elle se mobilise à chaque fois qu’elle est sollicitée.
Dans les actions quotidiennes, on a en moyenne 1 intervention toutes les 6 secondes avec les sapeurs-pompiers. On a une intervention de la Sécurité civile en hélicoptère toutes les 30 minutes. 1 intervention sur 3 ou sur 4 est vitale. C’est dire si c’est extrêmement concret.
Et puis on a des périodes exceptionnelles de crise, avec des inondations, de feux de forêts, de tremblements de terre … Si on devait compter ne serait-ce que le nombre de crises, je pense avoir eu plus de 70 crises en l’espace de 3 ans.
Et dans ce champ polymorphe, la Direction générale qui est une direction du ministère de l’Intérieur assure une fonction d’impulsion, d’animation de coordination et de valorisation.
Parmi les gouvernances uniques, elle travaille avec les collectivités locales, les départements, les communes principalement mais aussi les organisations syndicales, la Fédération, l’union européenne. Par attraction constante on s’évertue à donner à l’ensemble cohérence et visibilité.
Et c’est intéressant d’ailleurs de voir que la population identifie la Sécurité civile au travers de symboles comme le canadair, le sapeur-pompier, l’association agréée dans une logique d’assistance. La fonction d’assistance, de secours fait cette particularité, c’est ce que j’appelle les soldats de la République héritiers de l’An II de Victor Hugo. Tous les territoires, tous les publics, pour un service de proximité unique.
Donc il y a derrière quelque chose de très très fort, qui fait que lorsque vous êtes Directeur général de la Sécurité civile, vous occupez au fond une fonction un peu à part.
Et dans ce cadre, j’ai vraiment essayé de faire en sorte que l’on soit au service des territoires avec une très belle connaissance des territoires et une très belle qualité d’échanges dans les deux sens. C’est-à-dire que l’on se nourrit de la connaissance des territoires et en même temps il y a des échanges très réguliers dans l’autre sens, de manière à ce que l’on soit extrêmement concret, pratique. Je pense notamment aux échanges pendant le Covid.
Et, s’il y a un véritable attachement de la population aux acteurs de la Sécurité civile, c’est qu’ils s’inscrivent dans un engagement et un altruisme hors normes. J’aime beaucoup saluer cet altruisme. Ils risquent leur vie et malheureusement de temps en temps il y a des morts et pour toutes ces raisons là on est et on doit être toujours à leurs côtés.
C’est pour cette raison que ce n’est pas une politique publique comme une autre, je pense que les acteurs le sentent. C’est très poignant, très fort. C’est aussi pour cela que l’on ne compte pas nos heures. Je pense à cet été avec les feux, des semaines de 75-80 heures.
On peut parler un peu de vocation. C’est un engagement très très fort.
Voilà l’organisation de la Sécurité civile. Je vais vous donner quelques chiffres. La Direction centrale c’est 200 personnes, les acteurs de l’Etat c’est 2 500 personnes. Si on compte après les sapeurs-pompiers professionnels, ils sont 43 000. Les sapeurs-pompiers volontaires sont 200 000. Les associations agréées de Sécurité civile comptent 120 000 personnes. Tout cela fait la Sécurité civile avec une interaction constante entre l’ensemble des acteurs dans un climat qui n’est pas celui de bisbille. Il y a des échanges comme dans toute famille, il y a surtout une convergence. La réactivité et la résilience sont assez extraordinaires.
Je crois que l’on ne peut pas être Directeur général si on n’a pas à la fois cette admiration et cette affection et je le dis, vis-à-vis de l’ensemble des acteurs.
L’été 2022 a été chargé en actualités pour la Sécurité civile avec les feux de forêt, les inondations … quel est votre regard ?
La réalité de cet été est que l’on a mesurée avec plus d’acuité l’impact du réchauffement climatique.
Plus de 60 000 ha.– c’est-à-dire 6 fois Paris.
On a eu une campagne de feux de forêt qui a commencé plus tôt. Normalement elle débute mi-juillet, et cette année, elle a commencé mi-juin. La campagne est aussi plus longue, elle ne se terminera pas avant mi-septembre. Les feux sont un peu hors normes par le nombre d’hectares et aussi parce qu’ils sont importants en intensité et sur plusieurs territoires. On n’a pas de feux habituellement dans le Finistère et le Jura. Et donc, une sollicitation très forte et d’autant plus forte qu’elle s’inscrit dans la durée. Cela a été une gageure pour la Sécurité civile qui s’est préparée mais qui s’est retrouvée face à des phénomènes en partie imprévisibles sur certains territoires car tous équivalent depuis plus de 20 ans. Forcément, on peut constater que nous avons eu 2 décès (malaises sur interventions) et quelques blessés, mais globalement on a évité le pire, au niveau humain, même si le bilan écologique est cruel et désastreux.
On a eu des déplacements importants de population, plus de 60 000 personnes et tout cela s’est fait dans le bon ordre et on aura réussi à surmonter le feu. C’est-à-dire conserver la maîtrise et gagner la bataille. C’est-à-dire que l’on arrive à un moment ou à un autre à faire en sorte que le feu soit traité. Rappelez-vous en Australie il y a deux ans, la surface qui a brûlée représente la superficie du Portugal. On a eu cela aussi en Californie.
On n’a pas perdu la maîtrise du feu même si c’était très très dur, même si plus de 10 000 sapeurs-pompiers ont été mobilisés, plus de 45 colonnes de renfort alors que d’habitude on est à la moitié. Et donc cela a été un effort sans précédent. Grâce à la résilience, on a tenu mais j’ai envie de dire nous : pompiers, pilotes, associations sapeurs forestiers et sauveteur … Et toute la population. Respect et gratitude. Bien sûr, il faut que l’on tire un certain nombre de leçons dans tous les domaines d’ailleurs. Pas uniquement dans le domaine de la lutte, mais aussi dans la prévention, la surveillance, dans le domaine de la gestion.
On sait forcément que l’on doit s’adapter sur les modes opératoires et également que les moyens soient adaptés en conséquence. Une des difficultés est la logique capacitaire et lorsque vous êtes obligés de répartir vos moyens sur plusieurs sites, vous êtes moins performants. On fait souvent référence aux feux de 2003, mais en 2003 il faut se rappeler que 80% des feux étaient dans le sud de la France.
Donc il faut que l’on tienne compte et que l’on voit comment on peut intégrer cette évolution de fond. Cette adaptation et cette politique structurante seront l’un des défis des prochains mois et la mobilisation des pouvoirs publics comme l’a rappelé le président de la République s’inscrit dans le défi.
La France a terminé sa PFUE et dans ce cadre tous les directeurs généraux de la Sécurité civile sont venus et nous avons eu des échanges sur ces sujets qui sont tous extrêmement convergents. Là aussi, cela montre que l’on se retrouve sur les valeurs mais pas uniquement. On voit bien que l’Europe a aussi un rôle à jouer important et dans ce domaine, la France a un savoir-faire et doit être locomotive pour progresser sur l’ensemble de ces questions.
Donc oui, incontestablement, les actualités de l’été sont très chargées, avec des semaines lourdes mais les chantiers qui nous attendent nous y travaillerons avec ardeur.
Avez-vous des messages à faire passer auprès de la population ?
Alors vis-à-vis de la population, je veux commencer par la remercier.
Dans la période que l’on a connu elle a été un soutien constant.
Je tiens aussi à remercier la population pour l’ensemble des situations que nous avons vécues avec des évacués, et parfois dans des risques et des difficultés.
Les choses se sont faites dans le bon ordre sous l’égide des maires et des préfets. Il y a une vraie maturité de la population. Cela mérite vraiment d’être souligné.
Message aussi d’importance sur les problématiques d’éducation. La culture du risque et la Sécurité Civile sont l’affaire de l’Etat, des collectivités locales, mais c’est aussi l’affaire de tout le monde. Je pense à la Journée japonaise qui permet d’apprendre les bons réflexes lorsque l’on est alerté et faire en sorte que l’on puisse se protéger.
On doit avoir une culture du risque. On a un travail de fond pour réduire le risque, mais on ne supprimera pas le risque. Et bien évidemment on voit bien que le comportement, l’attitude conduit à des actions qui permettent de mieux se protéger.
C’est à la fois des attitudes classiques de prises en compte un peu comme la sécurité routière. C’est aussi éviter les comportements à risque. A 35°C, si on peut éviter de jeter son mégot, cela passe aussi par cela. Et je pense aussi que ce sont aussi tous les travaux que l’on peut faire qui réduisent le risque. Si vous débroussaillez très correctement votre maison et qu’il y a un incendie de forêt, la probabilité que votre maison brûle est faible. Si vous ne débroussaillez pas, le risque est plus élevé. Si vous descendez en cas d’inondation dans votre parking récupérer votre voiture, vous pouvez finir noyé. Si vous allez sur un pont lors d’une pluie diluvienne … Vous voyez !
La population c’est aussi des citoyens qui doivent être également responsables de par leurs comportements et çà c’est un message que l’on veut faire passer. Je n’oublie pas les entreprises, et leur réaction citoyenne quand le Ministre a lancé un appel général à la mobilisation.
Et puis il y a l’autre volet c’est que la Sécurité civile c’est la population.
Elle doit être le reflet de la population et donc cette diversité on doit la retrouver davantage au niveau des sapeurs-pompiers. Des efforts considérables ont été faits au niveau des SDIS, il faut faire ces efforts dans toutes les forces de la Sécurité civile. C’est valable pour les pilotes, les sapeurs-sauveteurs, les démineurs …Le mouvement est enclenché et il y a des marges de progression. Des actions sont menées auprès des jeunes sapeurs-pompiers avec notamment des échanges intergénérationnels. On prévoit de développer une réserve qui permette à des anciens de continuer à être présents.
Tout cela montre que l’on est dans un élan qui rejoint ce que je disais tout à l’heure. On est dans le cœur du contrat républicain.
Quels sont les outils mis en place par la Sécurité civile pour éduquer les jeunes ?
Une question intéressante parce que les choses sont complémentaires.
On a un travail qui se fait à l’école autour des gestes qui sauvent. Le cycle se déroule au collège sur une journée avec une matinée dédiée aux risques courants rencontrés à la maison et une après-midi dédiée aux risques plus particuliers tels que les inondations, les feux de forêt … Tout cela est déjà mis en place avec la logique qui vise que 80% de la population soit formée aux gestes qui sauvent.
Après il y a les actions spécifiques qui sont très importantes. Tout ce qui est fait avec des réseaux. Je pense en particulier aux missions locales qui permettent de toucher un certain nombre de jeunes. Vous savez ce que c’est qu’un SDIS ? Et bien on va vous montrer. Venez.
Par l’intermédiaire de ce que l’on apprend dans ce cadre-là c’est aussi un apprentissage de la citoyenneté au travers de la Sécurité civile.
Et puis il y a tout ce qui est réalisé au niveau des acteurs de la Sécurité civile. Les jeunes sapeurs-pompiers, les militaires, les associations agrées …
Quand on fait l’inventaire de tout, in fine, c’est beaucoup. Mais il faut plus encore. Mais surtout je trouve que la sensibilisation de la population est partielle. Selon les territoires, les zones, on ne touche pas de la même manière la population. Il faudrait le réflexe qui consiste à faire en sorte que tout gamin de 7 ans soit systématiquement sensibilisé.
Avec le recul, quels sont les moteurs qui vous ont fait avancer professionnellement ?
J’ai vécu des choses exceptionnelles comme des attentats dans l’Aude, des inondations. Mais je pense aussi aux choses simples, la modernisation et la mise en œuvre des lumineux pour les taxis, la construction de casernes de sapeurs-pompiers.
Ce qui m’intéresse avant tout c’est d’intervenir dans la vie des gens, et l’amélioration de leur vie quotidienne. Chacun a en tête la formule de Térence « je ne suis qu’un homme mais rien d’humain ne m’est étranger ».
Ce qui compte c’est l’humain, ceux qui forment l’humanité dans toutes sa noblesse.
Vous savez peut-être, je viens d’une vieille tradition militaire.
Mon père était officier supérieur de gendarmerie, mes grands-parents étaient au service de l’Etat.
Je repensais récemment à un de mes ancêtres. Il a fait la campagne de Russie avec Napoléon. Il l’a fait à pied et il est revenu !
Le fait de servir est au cœur du tropisme familial avec une culture de la terre. La terre de l’Est ! Celle qui n’est facile. Qu’il faut travailler pour la rendre productive. L’Alsace ! (sourire) Thirion signifiant « petit Thierry », ce côté non pas que je le cultive mais il fait partie de mes racines. Et ces racines, je ne les oublie pas.
Quels sont vos passions, vos loisirs ?
Je suis un passionné de littérature !
Je lis tous les jours. Je ne peux pas débrancher si je ne lis pas.
Et mon équipe sait que j’aime bien faire des références littéraires. Plutôt des auteurs non contemporains, Anatole France, Stefan Zweig ou Julien Gracq
Le seul problème avec cette passion est que les livres finissent par prendre énormément de place (sourire).
Dans les autres passions, il y a des choses que l’on peut essayer de faire et d’autres qui demandent plus de temps. Je trouve que le fait de se retrouver en famille, les moments simples conviviaux sont essentiels. Je suis amateur de cuisine, je cuisine de tout avec une préférence pour la cuisine italienne.
Dans ce cadre évidemment c’est le rituel des choses, aller au marché, acheter, vous préparez, vous servez le partage, l’échange, ce sont des moments préservés, c’est important.
Le week-end est un lieu préservé avec les enfants, c’est peut-être assez alsacien, je ne sais pas. Ce sont des moments où je ne suis plus le même homme.
– Quelles lectures conseillez-vous ?
Cet été j’ai lu un livre assez remarquable, « La carte postale » de Anne Berest, qui évoque les lieux de mémoire pour recomposer un puzzle familial.
Et puis je suis assez fasciné par les personnes qui sont capables d’aller au bout de leur passion. Je lis « Balzac, le roman de sa vie » de Stefan Zweig que j’aime beaucoup et qui explique comment Balzac finit par être mangé par sa passion de la littérature et de l’écriture. Il y a aussi Beethoven qui finit par être dans son monde … en Alsace, Albert Schweitzer, organiste de la cathédrale de Strasbourg ! qui part en Afrique plus de 30 ans. Des personnes qui vont au bout avec cette logique de rupture. Flora Tristan a cette capacité à un moment d’aller au bout de sa passion pour valoriser la condition de la femme. J’ai beaucoup de respect pour ceux qui sont capables de se sublimer pour remplir une mission.
Auguste Thirion est allé en Russie à pied, et bien je dis Respect.
Flora Tristan, l’abbé Pierre, chapeau et bravo !
Un entretien que nous souhaitions depuis longtemps, très heureuse de ce moment de partage sincère. Un remerciement à l’équipe pour son accueil sympathique.
Une remerciement appuyé à tous les personnels de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises qui travaillent sans relâche et au péril de leur vie. Plus qu’un travail une vocation, il est certain.
Note importante : Il est strictement interdit de copier tout ou partie du contenu de l’interview.