Le 13 juin 2022 – Avec humilité, je vous présente Christian SONRIER, grand monsieur de la maison police, aujourd’hui président de l’Association des Hauts Fonctionnaire de la Police Nationale. Une responsabilité d’envergure. Nous avons pris le temps de réaliser l’interview en nous rencontrant au siège de l’AHFPN à Paris et en échangeant autour de déjeuners conviviaux. L’âme de l’association vous le comprendrez est avant tout celle de l’humain, de l’écoute et de l’entraide.
Bonjour Christian,
Racontez-nous comment est -née et comment a -évolué l’Association des Hauts Fonctionnaires de la Police Nationale
Elle est née de façon très informelle par la volonté d’une dizaine de policiers, il y a plus de soixante-dix ans, des grands chefs de la haute hiérarchie policière de l’époque, qui se retrouvaient pour échanger périodiquement sur leur vécu quotidien, leurs difficultés et leurs expériences professionnelles. Rapidement le cercle s’est élargi. Puis, il y a une cinquantaine d’années, c’est devenu une vraie association, mais avec, toujours à sa tête, le directeur de l’IGPN (Inspection Générale de la Police nationale). On estimait sans doute qu’il était plus aisé et fédérateur de se réunir dans ses locaux, autour de lui.
Enfin, comme dans toute association de la loi 1901 il y a eu de vraies élections, avec très classiquement un bureau, un président, un trésorier, un comité directeur, etc.
Les statuts ont beaucoup évolué, notamment depuis la création du nouveau grade de commissaire général il y a quelques années. La limite d’âge des policiers de haut grade a également évolué pour être portée, désormais, à 67 ans.
Ces dernières dispositions ont abouti à ce que le ratio actifs-retraités, qui était auparavant de 2/3 de retraités pour 1/3 d’actifs, s’est complètement inversé pour être maintenant de 2/3 d’actifs et 1/3 de retraités.
Cela a contribué à une évolution importante de l’association, qui compte aujourd’hui plus de 230 membres. Au départ c’était surtout une amicale constituée d’anciens, avec quasiment pour seule préoccupation le maintien du lien social et de la solidarité. Evidemment cette préoccupation reste essentielle au sein de notre association, mais, sans doute sur la pression constante des chefs de service en activité, devenus majoritaires, nous sommes progressivement devenus ce que l’on peut appeler un centre de réflexion, véritable « think tank », avec la création de groupes de travail sur des thématiques importantes dans le domaine de la sécurité.
C’est ainsi qu’en toute humilité, mais avec enthousiasme et détermination, à notre façon, nous entendons apporter notre contribution à l’amélioration de la sécurité dans notre pays, si tant est que les décideurs s’intéressent à nos travaux et à nos recommandations. Jusqu’alors, on peut estimer que cela a été largement le cas puisque bon nombre de nos propositions ont été prises en compte.
Elu président de l’AHFPN en 2017, vous mettez en place une nouvelle stratégie
J’ai été élu lors de l’assemblée générale d’octobre 2017, qui avait accueilli Gérard COLLOMB ministre de l’Intérieur à l’époque.
Notre association souffrait d’un manque de locaux et de moyens matériels. Son fonctionnement en était grandement affecté. Pour y remédier, nous avons choisi de répondre positivement à l’invitation qui nous était faite par la mutuelle Intériale, de nous installer dans des locaux mis à notre disposition au 32 rue Blanche à Paris 9ème. L’Association des Anciens Combattants et Résistants du Ministère de l’Intérieur (AACRMI) et l’Amicale des Cadres de la Police Nationale et de la Sécurité Intérieure (ACPNSI) venaient de faire ce même choix. Nous avons jugé que les rejoindre pouvait constituer une belle opportunité de développer une synergie collective.
Effectivement nous avons rapidement créé avec la mutuelle Intériale et ces deux associations, un partenariat particulièrement riche et des relations très amicales. Nous disposons aujourd’hui d’un très précieux soutien logistique qui nous a permet de faire vivre plus intensément notre association, notamment en instituant une permanence hebdomadaire et des réunions mensuelles de bureau. Nous recevons régulièrement à cette permanence des collègues parisiens et même parfois des collègues de province ou en mission à l’étranger. Par ailleurs tous les trimestres, nous réunissons la trentaine de membres de notre comité directeur. On s’efforce, à chaque fois, de retenir une thématique particulière et de se réunir dans des lieux différents. C’est ainsi par exemple que nous sommes allés chez les pompiers de Paris après l’incendie de Notre-Dame, au RAID à Bièvres après de dangereuses opérations, puis chez les CRS après l’épisode des gilets jaunes, où encore récemment à l’OFII et la DGSI après d’importantes réformes de ces services. Plus récemment nous nous sommes rendus à l’Ecole Nationale Supérieure de Police (ENSP), notre chère école des commissaires, à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, près de Lyon, qui célébrait ses 80 ans d’existence.
Les deux plus grands moments de notre vie associative sont l’assemblée générale annuelle, qui a lieu généralement en octobre, et nos « Rencontres », sous forme de colloques sur des thématiques particulières dans le domaine de la sécurité.
Les thèmes retenus ces dernières années ont été : « Quelle police pour demain ? », « Les policiers au cœur des violences », « La relation police-population et la création d’une réserve opérationnelle », et dernièrement « la lutte contre la cybercriminalité».
Je constate des rapprochements avec d’autres associations telles que l’IHEMI, Femmes de l’Intérieur, les Jeunes IHEDN, l’Association du Corps Préfectoral et des Hauts Fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur …
Effectivement ! Et on pourrait y ajouter les pompiers, les polices municipales, certains magistrats, des représentants de sociétés privées de sécurité, et encore bien d’autres. Ce sont des professions qui sont quotidiennement sur le terrain avec les policiers. Il convient d’avoir, avec leurs représentants, dans le cadre de nos réflexions, une approche globale et transversale particulièrement intéressante et productive.
Au sein du think tank « Continuum Lab » créé avec Intériale et cinq autres associations l’an passé, nous avons en quelque sorte « institutionnalisé » nos divers travaux de recherches et d’études en commun, avec de véritables « frères d’armes », si je puis dire. Je souhaiterais même élargir notre horizon en travaillant avec la justice. La chaîne pénale est en effet un élément indispensable dans la recherche d’efficacité des divers dispositifs de sécurité. Nous commençons à échanger régulièrement avec les représentants de certains syndicats de la magistrature.
Nous sommes pleinement partisans du développement d’un réel continuum de sécurité. D’ailleurs ce n’est pas totalement innocent si l’appellation « Continuum Lab » a été choisie pour dénommer notre think tank avec Intériale …
– Peut-on citer des événements en partenariat avec d’autres associations ?
Je pense à notre participation à une récente réunion sur l’ « ordre public » avec notre collègue directrice des CRS Pascale DUBOIS, qui s’est déroulée chez Intériale en présence de spécialistes préfets, journalistes, pompiers et gendarmes. Les débats ont été particulièrement riches.
Je pense aussi à nos relations avec la générale Isabelle GUION DE MERITENS, présidente de l’association « Femmes de l’Intérieur », et à nos débats sur les sujets de parité.
Nous nous intéressons beaucoup également à tout ce qui concerne la jeunesse et à toutes les grandes questions sociétales.
Cela dit, il nous faut rester modestes et ne pas oublier notre vocation première : celle d’une amicale soucieuse d’entretenir et de développer le lien social et la solidarité entre ses membres. La riche expérience et l’expertise de la plupart de nos membres constituent seulement un précieux « petit plus » mis à disposition de notre institution et de nos concitoyens pour contribuer à l’amélioration de la sécurité dans notre pays.
Comment définiriez-vous vos relations avec le ministère de l’Intérieur ?
Nos relations peuvent être qualifiées d’excellentes, notamment, bien sûr, avec les collègues des directions générales de la police nationale et de la sécurité intérieure (DGPN et DGSI), et aussi avec les conseillers et membres du cabinet du Ministre.
Nos travaux sont très suivis et nos contacts sont réguliers. On ne manque pas d’inviter à l’assemblée générale annuelle et à nos « Rencontres » les ministres de l’Intérieur. Ils nous font toujours l’honneur de leur visite.
Nous sommes aussi régulièrement consultés sur des grands sujets, par exemple pour l’élaboration du livre blanc de la sécurité ou lors du Beauvau de la sécurité. De même, nous avons des contacts fréquents avec les parlementaires, qui ne manquent pas de nous consulter dans le cadre de commissions d’enquête sur tel ou tel sujet.
Avez-vous des messages à faire passer aux policiers ?
Ce serait bien prétentieux. Néanmoins, un peu comme des « grands frères », nous pouvons leur dire que malgré les difficultés actuelles, leur métier reste un des plus beaux, passionnant voire exaltant, et qui sera toujours indispensable au vivre ensemble dans notre société. Nous entretenons des liens très étroits avec les organisations syndicales qui apprécient généralement notre recul et notre expérience. On nous reconnait souvent une forme de « sagesse » et de « neutralité », bien éloignées d’un certain corporatisme ambiant. La présence de nombreux retraités contribue sans doute à tempérer le trop plein d’énergie de certains collègues en activité. L’institution policière repose à plus de 90% sur l’humain et le collectif, mêlant tous corps et tous grades. D’où l’importance d’un management adapté, de la solidarité, et même de la fraternité.
L’une des meilleures concrétisations de l’état d’esprit qui nous anime, au sein de l’AHFPN, a été la journée passée le 19 mai 2022 à l’école nationale supérieure de police (ENSP) de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Nous avons réussi je crois à conjuguer à la fois l’aspect mémoriel en honorant la mémoire de nos collègues commissaires morts en service, l’aspect convivial en réunissant les anciens directeurs de l’école et les collègues de la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’aspect historique, en visitant l’exposition « les 80 ans de l’école en images », et surtout l’aspect transmission des valeurs lors d’un échange particulièrement riche avec nos jeunes collègues élèves de la 73ème promotion de commissaires de police. Plus de cinquante collègues de notre association ont participé à ce grand moment, particulièrement chaleureux et convivial. Cela a fait une jolie photo de famille !
Avez-vous des messages à faire passer aux gendarmes ?
Les gendarmes font évidemment partie de la grande famille des membres des forces de sécurité. Ils sont nos cousins les plus proches. Comme dans toute famille il arrive parfois qu’on se chamaille, mais nos intérêts, comme nos contraintes sont communs. Vous savez que maintenant, police et gendarmerie œuvrent dans le même ministère.
Il nous faut travailler de façon très complémentaire, éviter les doublons et dépasser des réflexes ou considérations corporatistes. De grands défis nous attendent, par exemple pour lutter efficacement contre la cybercriminalité. Il serait contreproductif d’engager des guerres de « chapelles » pour quémander le leadership sur un sujet aussi important pour nos concitoyens. Seul l’intérêt général doit nous guider.
Avez-vous des messages à faire passer au ministère de la Justice
Plus exactement j’aimerais formuler un souhait : que les moyens alloués à cette grande institution soient à la mesure des légitimes attentes de nos concitoyens et des personnels du ministère de la justice. Il y a un réel problème de moyens.
Il y a également, pourquoi se le cacher, un problème avec certains magistrats militants, certes très minoritaires, mais influents, qui soutiennent des thèses que l’on peut considérer comme toxiques, ou, pour le moins, contraires à l’idée qu’on peut se faire de la justice. Heureusement on entretient globalement de très bonnes relations avec les magistrats, notamment avec les magistrats des parquets, qui partagent nos soucis au quotidien. Peut-être conviendrait-il que des contacts plus fréquents soient instaurés avec les magistrats du siège ?
Il faut surtout que l’on œuvre en commun, police et justice à la réduction du poids procédural, notamment en accélérant la dématérialisation des procédures. Les contraintes procédurales constituent une vraie plaie. Au fil des ans les policiers sont devenus plus greffiers qu’enquêteurs.
Avez-vous des messages à faire passer, avec votre recul, aux citoyens ?
Vous avez constaté que notre association s’intéresse beaucoup au rapport police-population. Il serait présomptueux de transmettre des messages ou des conseils à qui que ce soit, mais une chose est certaine : la police ne peut fonctionner efficacement qu’avec la confiance de la population. C’est comme pour un arbitre dans le sport, il lui faut la totale acceptation des équipes si les joueurs veulent prétendre pouvoir évoluer sereinement.
On peut se féliciter qu’aujourd’hui la confiance témoignée par la population à sa police soit de très bon niveau. Nous sommes presque à celui des armées et des pompiers, autour de 80%. Par contre, il convient de s’interroger sur le chiffre beaucoup moins bon, en dessous de 60% pour la confiance que lui accorde la jeunesse. Cela invite à multiplier nos efforts en direction des jeunes. La Direction Générale de la Police nationale, conduit de nombreuses actions dans ce domaine et le développement de la Réserve opérationnelle peut être un vecteur important pour améliorer la situation. Notre collègue Stéphane FOLCHER est en charge de ce nouveau dispositif de réserve. Je lui souhaite un plein succès.
De son côté, l’AHFPN continuera à s’intéresser à l’évolution du rapport police-population, notamment en travaillant avec le Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences-Po) et avec la mutuelle Intériale, à l’analyse des résultats du baromètre créé avec eux à cet effet.
Ces analyses nous conduiront sans doute à élaborer de nouvelles pistes d’action auprès de la jeunesse. Il s’agit là d’un enjeu majeur pour la police de la nation !
Un grand remerciement pour nos échanges de qualité.
Je souhaite une pleine réussite dans vos projets, porteurs d’espoir pour la jeunesse, pour les actifs.
Nous avons sans nul doute besoin d’un rapprochement de la police et de la population et la sagesse des anciens est précieuse à cet effet.
Association des Hauts Fonctionnaires de la Police Nationale
Adresse statutaire : AHFPN – Ministère de l’Intérieur – 11, rue des Saussaie 75008 Paris Cedex
Adresse postale : AHFPN – Espace Intériale – 32, rue Blanche 75009 Paris Cedex
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Photo en Une : Dépôt de gerbe le 19 mai 2022 de Christian SONRIER, président de l’AHFPN, à la stèle de l’ENSP, commissaires morts en service © AHFPN