Le 07 juin 2022 – Une rencontre enthousiasmante aux Invalides avec le Général de corps d’armée Christophe ABAD, Gouverneur militaire de Paris (GMP), officier général de zone de défense et de sécurité de Paris, commandant de la zone Terre Ile-de France. Nous nous sommes entretenus sur ses fonctions actuelles, ses actualités telles que la cérémonie du défilé du 14 juillet 2022 et les Jeux olympiques d’été de 2024, les étapes marquantes de son parcours, les messages qu’il souhaite nous faire passer avant de découvrir ses centres d’intérêt. Une lecture instructive et sympathique pour qui s’intéresse à la vie de la cité.
Quelles sont vos fonctions aujourd’hui général ?
Le Gouverneur militaire de Paris a pour caractéristique d’avoir un très large panel de responsabilités sur un spectre extrêmement large dont certaines sont très connues et d’autres absolument pas.
La 1ère des missions est la plus historique, c’est la mission opérationnelle.
Le Gouverneur militaire de Paris est un chef qui commande des opérations militaires en Ile-de-France et c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a plus de 600 ans a été créée cette fonction, au début de la guerre de 100 ans. Elle ne portait pas ce nom de Gouverneur militaire de Paris mais traduisait une prise de conscience des autorités de l’époque de la nécessité d’assurer la défense militaire de la place de Paris.
Très concrètement, cette 1ère mission se décline depuis 2015, notamment à travers la mission Sentinelle, une mission de lutte contre le terrorisme qui a débuté à la suite des attentats de décembre 2015. Elle s’est aussi traduite dans les deux ans qui viennent de s’écouler à travers la mission Résilience, une mission de lutte contre la pandémie Covid-19. Puis, plus généralement, je suis responsable de l’engagement de tous les moyens militaires lors du déclenchement de plans d’urgence qui sont liés à des événements sécuritaires, industriels, climatiques. La crise potentiellement la plus connue en Ile-de-France, c’est la crue de Seine et si nous venions à connaître une réplique de la crue de 1910, dans un Paris fortement numérisé, nous aurions à adapter notre stratégie de crise aux contraintes du XXIè siècle.
Les opérations sont donc ma toute 1ère priorité. Ces missions ne sont pas forcément les plus connues parce que la mission la plus connue est bien celle qui consiste à entretenir le lien Armée-Nation et à porter la responsabilité de l’organisation de toutes les cérémonies militaires sur la place parisienne.
Il n’y a pas que des cérémonies militaires à Paris mais ici, ces cérémonies ont la particularité d’être présidées par de très hautes autorités. Très souvent, le Président de la République, le ministre des Armées, les très hautes autorités civiles et militaires sont présents et c’est à mon rôle d’organiser toutes ces cérémonies et le calendrier mémoriel français, qui est particulièrement riche. Nous reviendrons sur le 14 Juillet parce que c’est un sujet d’actualité, mais il y a aussi de nombreuses autres dates importantes comme le 08 Mai, le 11 Novembre, le 19 mars …
La 3ème grande mission a trait à la coordination des acteurs et à leur soutien en Ile-de France. Il y a un plus de 50 000 ressortissants du ministère des Armées qui travaillent en Ile-de France. Et ma responsabilité est que les gens travaillent dans les meilleures conditions et vivent dans les meilleures conditions.
À cela s’ajoute une dernière responsabilité, très symbolique. Elle consiste à accompagner les actions au profit des blessés militaires et des familles endeuillées, parfois en urgence, notamment lorsqu’il y a des décès en opérations, des morts pour la France. Nous organisons les cérémonies qui se terminent dans la cour d’honneur. Puis, au-delà des jours qui suivent le décès dans le cadre du plan d’urgence, il y a l’accompagnement dans la durée. Tout au long des mois, voire des années qui suivent de tels évènements, nous suivons à la fois les blessés militaires, les familles et les camarades.
Enfin, ma 4ème grande mission : je suis aussi responsable de l’Hôtel National des Invalides qui est un site mais aussi une véritable ville dans la ville où vivent plusieurs entités comme l’Institution nationale des Invalides. C’est un lieu historique. Il y a 350 ans, Louis XIV a créé l’hôtel national des Invalides pour y accueillir des blessés vieillissants et des blessés pour les héberger.
Aujourd’hui cette vocation initiale demeure. Nous avons l’Institution nationale des Invalides, mais il y a aussi 3 grands musées qui sont ici et la Cathédrale Saint-Louis-des-Invalides qui porte une vocation cultuelle. J’assure le bon fonctionnement de ce site au quotidien.
Vous avez évoqué la cérémonie du défilé du 14 Juillet, quelles sont vos actualités ?
L’actualité de très court terme, c’est l’organisation du défilé du 14 Juillet sur les Champs-Elysées. C’est un très gros morceau parce que de toutes les cérémonies c’est de très loin la plus médiatisée avec un peu plus de 10 millions de téléspectateurs, une grande ferveur et c’est une cérémonie militaire qui a pour singularité de se confondre avec le jour de la fête nationale.
La fête nationale ne se résume pas au défilé militaire du 14 Juillet. Mais dans l’inconscient national, que l’on soit fin connaisseur des armées ou pas du tout, le 14 Juillet est un marqueur incontournable et unique de ce jour de la fête nationale.
Cela consiste à organiser ce rendez-vous qui mobilise des milliers de soldats, de défilants, des dizaines de véhicules blindés, des avions, des hélicoptères, des drones. C’est un exercice extrêmement compliqué et c’est une vraie opération militaire qui consiste finalement à être précis, ponctuel et rigoureux ainsi qu’à faire passer des messages. C’est un rendez-vous qui pour nous est solennel et c’est ainsi que doit être toute cérémonie militaire. Aussi, le 14 Juillet s’adapte à son temps. Le prochain 14 Juillet sera fortement imprégné de la situation internationale et de la guerre en Europe, singulièrement de la guerre en Ukraine.
Ce 14 Juillet, c’est aussi un jour de fête nationale qui doit apporter des messages d’optimisme, d’unité, de rayonnement.
Et puis le défilé militaire du 14 Juillet est toujours à lire sous 2 aspects : le 1er qui est superficiel mais qui est incontournable. Il est une parade militaire, un spectacle auquel les gens ont l’habitude d’assister. Mais si on s’arrête à cela, on rate le message profond. Il faut penser aussi que le défilé militaire est l’occasion pour les Armées de montrer leur détermination, leur capacité à servir notre pays, à défendre la France et ses concitoyens. Et c’est donc quelque part une démonstration de force. C’est d’ailleurs pour cela que l’on y met des moyens modernes.
Il y a à la fois un message de spectacle et un message des armées qui sont engagées en opérations, qui paient le prix du sang et qui ne sont pas là que pour faire le show. Ils sont là aussi pour montrer leur détermination à défendre les valeurs et à défendre les français.
C’était l’actualité de très court terme.
Ci-dessous, Le Gouverneur militaire Christophe ABAD, 14 juillet 2021 © GMP COM
Il y a une autre actualité à moyen terme que vous connaissez aussi. Dans 2 ans se dérouleront les JO 2024. J’ai reçu un message du Chef d’Etat-Major des Armées (CEMA) pour représenter le ministère dans les instances de gouvernance préparatoires aux Jeux paralympiques, sous l’angle de la sécurité bien entendu.
Cela sera un événement inédit, puisque la dernière fois, les JO d’été en France se tenaient en 1924, cela date. Autrement dit, cela fera un siècle que nous n’aurons pas organisé de JO d’été et ce sera un événement inédit pour son ampleur, sa durée, son intensité et la quantité d’officiels qui vont défiler. Et je rappelle toujours que c’est en simultanée avec l’assemblée générale des Nations-Unis, le Sommet de Davos, tout cela en même temps.
Cela va mobiliser plus de 10 000 athlètes, des présences qui viennent de plus de 200 pays, la présence de plus de 20 000 journalistes. C’est un événement à l’échelle planétaire, qui a bien sûr vocation à porter des valeurs, des messages de fraternité. La fraternité est véhiculée par le sport et c’est un rendez-vous qui a pour impératif sa réussite pour la France, pour son crédit, pour sa réputation, son rang dans le monde.
En coordination avec les équipes de sécurité au ministère de l’Intérieur, les policiers et les gendarmes, et les acteurs de la sécurité privée, nous allons apporter notre expertise et la plus-value pour faire en sorte que ce rendez-vous soit une réussite sur le plan sécuritaire.
Donc actualité de court terme, le 14 Juillet, actualité de moyen terme les JO2024 et puis l’activité permanente parce que cela ne s’arrête jamais.
24h/24 toute l’année avec la vigilance que nous devons toujours avoir dans la réalisation de la mission Sentinelle face à une menace terroriste qui demeure, qui est une réalité. Depuis les attentats complexes et d’une grande brutalité de 2015 et 2016, nous sommes toujours sur nos gardes avec la police et la gendarmerie pour être en capacité de réagir pour protéger les français. Paris est un centre de gravité, il regroupe des centres de pouvoir et d’influence. Paris est un lieu évidemment très symbolique et son image très forte.
Quelles sont les grandes étapes de votre parcours ?
Je suis Saint-Cyrien, rentré à l’âge de 20 ans à l’école de Saint-Cyr.
J’ai choisi au terme de ma scolarité de suivre la formation de l’arme du génie.
Je voulais un avenir professionnel dans les corps de troupe. Un parcours complet, classique pour les gens de ma génération.
Et puis plus tard en qualité d’officier supérieur, j’ai exercé des responsabilités dans des champs très différents.
Dans des champs opérationnels, j’ai commandé un régiment de combat du génie et puis après j’ai servi dans des états-majors où j’ai travaillé dans le domaine des ressources humaines, dans le domaine de la préparation de l’avenir des grandes transformations des organisations et j’ai connu une expérience en cabinet ministériel puisque j’ai servi à l’hôtel Matignon pendant 4 ans auprès de 3 ministres différents, au cabinet militaire et au cabinet du premier ministre.
Et puis j’ai servi également dans les forces.
Avant de prendre mes fonctions de GMP, j’étais en poste à l’Etat-Major des Armées, dans son nouveau centre de gravité à Balard, que vous connaissez et qui a été activé en 2015.
Voilà l’essentiel de mon parcours assez varié, équilibré dans les forces et dans les Etats-Majors qui me conduit aujourd’hui à être Gouverneur militaire de Paris depuis juillet 2020.
Avez-vous un message à faire passer ?
Dans les responsabilités que je porte, il y a beaucoup d’actions vis-à-vis de la jeunesse parce que je considère que la jeunesse est l’avenir. C’est une réalité.
Cela n’a pas de sens de se réunir exclusivement entre militaires, de faire de l’entre-soi. Il faut que nos actions aient du sens.
Je pense au ravivage de la flamme qui a lieu toute l’année.
Le ravivage de la flamme est un symbole, le respect de nos anciens, des résistants. Il est aussi le symbole de la transmission, de la transmission des valeurs et il est important au moment du ravivage de la flamme qu’il y ait des anciens qui portent des drapeaux et aussi des jeunes.
Nous menons beaucoup d’autres actions vis-à-vis des jeunes comme les sensibiliser sur l’esprit de défense, la notion de cohésion nationale, la notion de résilience de l’Etat français et ce n’est pas l’apanage des seules armées.
Donc il y a un défi : comment créer ce lien Armée-Nation ?
Le 1er point d’application, c’est la jeunesse à l’école (jeunes et jeunesse étudiante).
Le 2nd point d’application, les réserves. Les réserves ce sont 2 mondes différents. La réserve opérationnelle, qui comme son nom l’indique porte la tenue, a des responsabilités, un territoire, a une fiche de poste et est rémunérée pour cela. D’ailleurs, nous avons des réservistes opérationnels qui sont engagés dans les opérations à l’extérieur pour les pays étrangers. Cette réserve opérationnelle est indispensable parce qu’elle se nourrit du ciment qui se constitue de la société civile. Ce sont beaucoup de jeunes, de gens qui travaillent, et qui prennent sur leur temps , avec pour beaucoup des engagements pendant leur week-end, les congés, pour faire des activités et s’insérer dans un dispositif complètement opérationnel militaire. Tout cela est important et le Président Emmanuel MACRON a annoncé le doublement du nombre de réservistes opérationnels. Par ailleurs, la poursuite du Service National Universel est toujours en phase d’expérimentation depuis 2019.
Cette réserve opérationnelle, vous l’avez compris, contribue à renforcer le pouvoir des armées. Elle est utile et nécessaire au bon fonctionnement des armées de par la pluralité de ses actions. Ce n’est pas conceptuel, c’est une réalité. La réserve n’est pas du luxe, ce n’est pas une option, c’est une obligation. La densité des armées aujourd’hui, la pluralité dans la grande diversité de nos missions nous oblige à augmenter le nombre de réservistes opérationnels.
Il y a une seconde dimension qui n’est pas la même, c’est la réserve citoyenne.
La réserve citoyenne est une réserve de rayonnement et d’influence. Ce sont des gens qui ne sont pas en tenue, qui ne sont pas payés, qui donnent de leur temps, souvent beaucoup, à leur rythme, selon leurs disponibilités et leurs envies, selon leurs talents. Cette réserve est particulièrement précieuse. Elle crée des relais qui nous assistent dans des champs d’expertise. Nous avons des juristes, des spécialistes des ressources humaines …
J’ai de l’ordre de 240 réservistes citoyens qui sont engagés à mes côtés, que j’anime. C’est-à-dire que tous les 2 mois, on les regroupe ici un soir sur une conférence thématique, et ensuite en début d’année, on les répartit par groupes de travail en fonction de leurs compétences ou de leurs appétences. Dans l’année, ils portent un projet concret ou une étude et ils m’apportent une expertise.
Je termine avec cela.
La réserve opérationnelle est très engagée par l’exercice des fonctions au quotidien.
La réserve citoyenne est un complément de rayonnement et d’influence qui crée du lien. Beaucoup de capitaines d’industrie sont dans la réserve citoyenne, ils sont extrêmement précieux.
L’autre message c’est la singularité militaire qui est portée notamment par les cérémonies mais aussi par le fait que nous avons des opérations extérieures.
Je pense que les gens sont suffisamment conscients du nombre de blessés que l’on a et de l’effort que nous consentons à l’accompagnement des blessés d’une part et des familles endeuillées d’autre part.
C’est un travail peu médiatisé, par pudeur, et qui mérite d’être souligné parce qu’il faut accompagner ces gens qui ont connu le malheur, qui sont dans la souffrance et qui ont besoin qu’on leur tende la main. On ne laisse pas nos familles et nos blessés au bord du chemin. Ce travail est admirablement fait par le collectif parce qu’il y a des cellules aux blessés.
On mobilise des entreprises, des mécènes qui nous aident, qui financent des activités et qui permettent de concrétiser l’achat d’une prothèse de haute technologie pour un blessé amputé. Ils nous aident dans l’accompagnement par le sport pour la réhabilitation d’un blessé et parce que le sport fédère. Nous sommes dans une logique individualisée pour que ces gens-là aient une vie décente, y compris dans leur épanouissement personnel et pour leur donner de l’autonomie aussi pour travailler, soit au sein des armées quand c’est possible, soit quand ce n’est pas possible, dans le milieu civil.
Quels sont vos loisirs, vos centres d’intérêt ?
J’aime la littérature militaire et l’histoire militaire.
Mes livres de chevet sont Le Fil de l’Épée, un ouvrage publié par Charles de GAULLE, alors commandant en juillet 1932.
L’Étrange Défaite, un essai sur la bataille de France écrit en 1940 par Marc BLOCH, officier et historien, qui a participé aux deux guerres mondiales.
Les recommandations du Maréchal-Lyautey dans Le Rôle Social de l’Officier sont intéressantes.
Je ne vous cache pas que mon temps est assez compté.
Je pense qu’il y aura un moment où j’aurai plus de temps lorsque j’aurai fini mon activité. Je pourrai consacrer plus de temps à la lecture.
J’aime bien lire et je suis bien conscient que travailler dans un site éminemment prestigieux où il y a trois musées et qui incarne l’histoire militaire de notre pays, est un terrain de jeu extraordinaire pour un homme passionné d’histoire militaire, où l’on voit des grands auteurs et des aînés.
Je vous disais que la fonction de Gouverneur militaire de Paris (GMP) remonte aux années 1350, il y a plus de 600 ans. Plus récemment depuis l’instauration de la République, la fonction de GMP lui a valu des prédécesseurs prestigieux. J’en cite toujours deux, Joseph GALLIENI en 1914 (taxis de la Marne) et le général Pierre KOENIG en 1944 lors de la libération de Paris. Avec beaucoup d’humilité et de modestie, j’ai dans la liste du couloir lorsque vous montez l’escalier, un nombre de prédécesseurs prestigieux qui ont contribué à un moment donné à l’histoire de France, à ses événements tragiques et structurants pour notre pays, au cœur de la capitale. Toutes ces hautes autorités m’inspirent.
La lecture est ma passion et dans la vie de tous les jours, j’essaie de me consacrer à ma famille et à faire du sport. Je fais de la marche et du vélo.
La marche à la campagne et plutôt à la montagne. Je reste en France et j’alterne entre les Alpes et les Pyrénées. Je n’ai pas de port d’attache particulier mais je vais là où il y a du dénivelé.
Puis, le cyclisme. Dans ma jeunesse, j’ai fait de la compétition. Maintenant j’essaie tant bien que mal de continuer à faire un peu de vélo, plus modestement qu’avant et sans esprit de compétition. J’aime suivre les étapes du Tour de France mais cette année, cela va être un peu compliqué avec l’organisation du défilé militaire du 14 Juillet.
Un autre sujet, les voyages.
Je suis allé il y a quelques années dans les Alpes autrichiennes, dans le Tyrol, et je suis vraiment tombé amoureux de cet endroit. Il est exceptionnel de beauté. Non pas que les Alpes françaises ne le soient pas, elles sont magnifiques, mais il y a un supplément d’âme avec ces maisons fleuries, la gentillesse des gens.
Avec mon épouse nous avons été particulièrement touchés par cette espèce de havre de paix, hors du temps.
Un remerciement appuyé général pour cet entretien.
J’ai été très honorée et heureuse de vous rencontrer dans ce cadre historique.
Je ne manquerai pas d’être présente au défilé militaire du 14 juillet 2022 à Paris.
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