Le mercredi 16 février 2022 – Suite à des journées de formations passionnantes animées par le Dr Daniel PINEDE, directeur du CRIAVS ; le Dr Gabrielle ARENA et le Dr Daniel ZAGURY ; Miss Konfidentielle a interviewé le Dr Daniel PINEDE et Nicolas ESTANO afin de partager avec vous leur travail. Un univers encore méconnu qui mérite une mise en lumière alors que la parole des victimes de violences sexuelles intramiliales et non intrafamiliales se libère. Le CRIAVS est un maillon de la chaîne.
Aujourd’hui, le Dr Gabrielle ARENA, fondatrice et ancienne responsable du CRIAVS Ile-de-France Nord-Est nous fait l’honneur d’une tribune sur la thématique « La violence sexuelle / approche historique, représentations sociales ». Un remerciement appuyé pour le partage précieux de ses connaissances.
Pour rappel : Sur le département de la Seine-Saint-Denis, le Dr Gabrielle ARENA fondatrice et responsable du CRIAVS Ile-de-France Nord Est, fut une des premières à s’intéresser à la question des obligations de soins prononcées, et réclamait la création de « lieux de soins et de consultations spécifiques, notamment pour les agresseurs sexuels avec des thérapeutes volontaires ayant reçu une formation spécifique et un budget pour fonctionner décemment ?»[2].
Un souhait concrétisé quelques années plus tard, avec la création en 2010 de l’Unité de Psychiatrie et de Psychologie Légale UPPL93, afin de répondre à une absence de structure spécialisée dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles dans l’est de l’Ile-de-France.
TRIBUNE
La violence sexuelle / approche historique, représentations sociales
par le Dr Gabrielle ARENA, psychiatre honoraire
La violence sexuelle a toujours été condamnée tout au long de l’histoire, mais le curseur indiquant ce qui était interdit comme acte violent, sexuel, s’est évidemment déplacé selon les périodes, les zones géographiques, les cultures. Mais il a été constamment présent car une société se définit à partir de ses règles et de ses interdits, et notamment ceux qui encadrent la sexualité, la famille.
Essayer de cerner qui sont ces auteurs de violence sexuelle dont nous retrouvons les différentes appellations déclinées tout au long de l’histoire : monstres, créatures sataniques, pervers, sorcières.
Si nous regardons en arrière, nous pouvons dire que toutes les sociétés ont condamné les violences sexuelles, l’inceste ; les lois étaient même très précises, les sanctions très sévères, mais très rarement appliquées. Les victimes, les femmes, les enfants, les personnes vulnérables avaient rarement l’occasion de se faire entendre ; de fait, elles portaient rarement plaintes. Les auteurs restaient impunis. Cette situation demeurera sans grand changement jusqu’au milieu du XXème siècle.
Le sort des femmes dépendait de leurs conditions sociales. Le plus souvent, les mariages étaient arrangés par les familles, parfois forcés. Exercer une violence sexuelle sur une femme n’avait d’importance que par rapport à son rang, à sa famille et au déshonneur qu’elle entraînait pour le père. La virginité des filles était requise mais toujours par rapport au père, la vertu et la fidélité par rapport au mari. Il n’est jamais question du ressenti des femmes. Les agresseurs sont soit des « monstres » issus du monde rural, soit des nobles libertins, SADE, FRONSAC… Cependant, il y avait plus de tolérance pour les agressions sexuelles contre les femmes que contre les enfants, mais la plupart des actes restait impunis, les femmes ne portaient pas plainte et les enfants ne se plaignaient pas, ils se taisaient le plus souvent, surtout s’il s’agissait d’un agresseur connu, voire familial.
On peut dire que jusqu’à une période très récente, milieu du XXème siècle, le sort des femmes et des enfants victimes de violences sexuelles a très peu changé : peu de dénonciations, peu de poursuites, peu de sanctions pour les agresseurs, la honte et l’opprobre pour les victimes.
La violence sexuelle nous oblige bien évidemment à repenser la relation entre les sexes, le rapport entre les hommes et les femmes, à celle de l’enfant dans la société, celle de la famille, à énoncer les interdits et en tout premier lieu celui de l’inceste, à parler de l’intime, à renommer les liens de parenté nécessaires à la construction de l’individu, de son identité.
Les années 70
Nous connaissons aujourd’hui l’esprit libertaire qui bouscula toute la société et ses limites après les évènements de mai 1968. Beaucoup de changements revendiqués sur le plan social et sur celui des mœurs : le mouvement féministe, la liberté sexuelle, (grâce à la contraception en 1967 loi Neuwirth), la loi en 1975 pour l’IVG, la loi sur le viol en 1980, la suppression de l’homosexualité des manuels des troubles mentaux en 1992 en France …
L’heure est à la libération des mœurs, la société s’émancipe, rejette les valeurs bourgeoises et traditionnelles de la famille et celles qui régissent la sexualité jusque-là.
Dans ce climat déferle également, un militantisme pédophile porté et exalté par des artistes : photographes, écrivains, cinéastes, célébrant les relations sexuelles avec les enfants. Les pédophiles ont la parole, Gabriel MATZNEFF, écrivain, invité à la télévision dans l’émission Apostrophe pour son livre « les moins de 16 ans » etc. La justification de ces hommes s’appuie sur le fait que les enfants ont une sexualité (ce que l’on savait depuis FREUD…) et qu’ils sont consentants puisque, dans la plupart des cas, ils ne disent rien. Derrière toutes ces proclamations, il s’agit là encore de combattre les interdits et de proclamer un ordre nouveau, où les modèles de la religion, de la famille traditionnelle sont rejetés.
Les grands bouleversements des années 70 avaient amené une forme de libération sexuelle qui donnait le sentiment que tout était permis, que la sexualité pouvait et devait s’épanouir avec n’importe quel partenaire. « Le jouir sans entraves », surtout avec les enfants ce qui commence à poser question. Les années 90 mettront fin à ce mouvement. Les féministes d’abord puis les premiers témoignages de victimes de viols qui osent prendre la parole, l’importance de la protection l’enfant (droits de l’enfant en 1989) mettent un terme à ce courant de pensée.
Dès lors l’importance des abus sexuels en France, la souffrance psychique des victimes, changeront totalement la donne.
Les grandes affaires Marc DUTROUX en 1996 en Belgique, Michel FOURNIRET, Guy GORGES en France produiront aussi un effet grossissant sur le phénomène et finiront de convaincre toute la société de l’importance des violences sexuelles. Ces procès provoqueront à la fois fascination et horreur pour leur auteurs.
Les paroles des victimes, la souffrance psychique seront entendues et reconnues.
Depuis 30 ans, nous assistons à une évolution culturelle et sociétale sans précèdent. La société découvre que la violence sexuelle concerne tous les corps de la société, en premier lieu la famille, puis l’église, l’école, le cinéma, le monde du sport, les journalistes, les artistes etc. Les différents mouvements MeToo viennent aujourd’hui, mettent un point d’orgue aux secrets et aux silences des victimes de violences sexuelles. Pour la première fois, la notion de maltraitance sexuelle et de souffrance psychique sont entendues, les victimes auront un statut.
Du côté des auteurs, la loi française tente de proposer un traitement pour les auteurs de violences sexuelles pendant la peine et au-delà, afin d’éviter la récidive. C’est le sens de la loi GUIGOU de 1998.
L’obligation de suivre des soins pour tous auteurs de violences sexuelles à n’importe quel instant de leur parcours pénal, amènent ceux-ci jusqu’à nos consultations en psychiatrie, pour des soins pénalement ordonnés.
Bio du Gabrielle ARENA
Dr Gabrielle Arena, psychiatre des hôpitaux, a intégré l’établissement de Ville-Evrard en 1991 et exerce depuis 23 ans au secteur 93G11 (Noisy-le-Sec, Romainville, Montreuil nord).
Elle travaille au CMP de Noisy le Sec, et depuis 2008, elle a créé un Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violence Sexuelle Ile de France Nord-Est (CRIAVS).
Avec le docteur Daniel Zagury, chef de pôle du secteur 11, elle anime le séminaire clinique du Jeudi à Bondy, et avec l’équipe du CRIAVS un séminaire centré sur la violence sexuelle à Neuilly-sur-Marne.
Le docteur Arena a mis en place depuis 2010 une consultation spécifique autour du traitement de la violence sexuelle et des soins pénalement ordonnés. Ce dispositif est intégré au CMP de Noisy-le-Sec et n’est pas sectorisé.
Au sein de l’établissement, elle est médecin médiateur et intervient à la demande de la direction ou de la commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge.
Elle est par ailleurs co-fondatrice et présidente d’une association qui, chaque année organise à Neuilly sur Marne deux journées d’échanges sur les pratiques en psychiatrie, ouvertes aux professionnels de l’établissement et à des publics extérieurs. (Association RIVE : Réflexions institutionnelles Ville Evrard).
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