Le samedi 25 décembre 2021 – Après trente ans d’attente et de reports, une fusée Ariane-5 a décollé avec succès de la base de Kourou (Guyane) à 13h20, heure française, avec à son bord le télescope James-Webb, l’instrument d’observation du cosmos le plus perfectionné jamais envoyé dans l’espace. La France, l’Europe et une collaboration plus étendue ont été nécessaires à l’aboutissement de ce projet.
A cette occasion, Miss Konfidentielle vous invite à prendre connaissance de l’interview de Stéphane Leboucher, Head of Ariane Mission Preparation and Customization, réalisée le 21 décembre 2021.
Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Stéphane Leboucher, 56 ans, je suis ingénieur chez ArianeGroup depuis 34 ans. J’ai commencé ma carrière à la Direction Technique, à élaborer des scénarios de la phase balistique sur Ariane 2, 3 et 4 à l’époque, puis j’ai élargi mon domaine de compétences en optimisant les phases propulsées. Au bout d’une vingtaine d’années, je suis passé au sein de l’équipe programme qui fait le lien entre Arianespace et les différents secteurs techniques d’ArianeGroup.
Concrètement en quoi consiste ce travail ?
Sur la base de la demande d’Arianespace, nous vérifions que la mission spécifiée reste bien dans le domaine qualifié du lanceur. Pour répondre aux demandes des clients, on a un certain nombre d’études à réaliser et, au besoin, on lance aussi des compléments de qualifications dédiées à la mission particulière. On élabore la trajectoire, le scénario de la phase balistique. On gère l’éloignement des différents étages et éléments, très important pour le lancement du télescope Webb. On vérifie aussi que les ambiances thermiques et dynamiques générées par le lanceur sont bien compatibles des charges utiles. En complément de ces études, les bases de données fonctionnelles sont adaptées à la configuration partie haute et l’ensemble de ces activités permet d’adapter le programme de vol à la mission : sa fabrication, sa vérification par simulation et son envoi en Guyane finalisent notre travail.
Est-ce qu’il y a quelque chose de différent dans le lanceur cette fois ?
Oui, des évents sous la coiffe ont notamment été modifiés afin de prévenir le risque qu’une dépressurisation puisse endommager le pare-soleil de JWST lors de l’éjection de la coiffe. Les modifications ont été testées avec succès sur les derniers vols d’Ariane 5. Et nos fans seront heureux de savoir qu’Ariane 5 embarque cette fois un Vidéo Kit (surnommé Viki), afin de suivre au mieux toutes les grandes étapes du lancement.
Quelles sont les différentes étapes restantes jusqu’au lancement ?
Ariane 5 étant au Bâtiment d’Assemblage Final, elle est prête pour les prochaines étapes qui sont les « opérations combinées Lanceur/ Charge Utile». On place JWST au sommet d’Ariane 5 et la coiffe qui protègera le télescope dans les premières minutes du vol, vient finaliser le lanceur. Puis, Ariane sera déployée sur le pas de tir deux jours avant le décollage pour être remplie d’hydrogène et d’oxygène liquide 5 heures avant son envol. Si toutes les dernières vérifications sont bonnes, on passera à la séquence finale de lancement.
Qu’est-ce qui pourrait occasionner un report ?
Il existe de nombreuses raisons de reporter un vol : une station sol qui ne répond pas, la météo qui se dégrade sur le créneau de lancement, un ‘’rouge’’ du lanceur ou de la Charge Utile…, mais c’est le travail normal durant cette phase où l’on fait toutes les dernières vérifications et que l’on se prépare à rentrer dans la séquence synchronisée automatique. Il n’y a pas plus de risque, pas moins pour ce lanceur que pour un autre. Tous nos ingénieurs sont conscients de l’enjeu de ce lancement là, mais, comme toujours, nous faisons notre travail de notre mieux.
Pourquoi Ariane 5 a été choisie pour ce lancement ?
Tout d’abord ce télescope, c’est une collaboration internationale entre les agences spatiales : NASA (USA), ESA (Europe), CSA (Canada). Une des contributions de l’ESA est le service de lancement et l’ESA a choisi Ariane 5, le seul lanceur, ayant une coiffe longue compatible avec le volume de du télescope (une coiffe de 5,4 mètres de diamètre et 17 mètres de haut pour embarquer un télescope de 6,16 tonnes). Et depuis 10 ans que les préparatifs de cette mission ont démarrés, on a augmenté les performances et la fiabilité d’Ariane 5.
Est-ce que les équipes stressent pour ce lancement du James Webb Space Télescope ?
C’est un lancement important, parce que c’est la charge utile la plus chère au monde jamais lancée. Tout le monde souhaite la réussite de ce lancement, mais comme on le souhaite pour tout lancement Ariane 5. C’était pareil lorsque l’on a lancé BepiColombo, Rosetta, Galileo, les ATV,…. À chaque lancement, on a un stress différent, mais un stress positif. Chacun fait de son mieux dans son domaine pour que le lanceur puisse réussir sa mission.
Est-ce que le stress s’arrête après le lancement ?
Il faut savoir que la mission du lanceur ne s’arrête pas au moment du décollage ou de la séparation du télescope, elle s’arrête au moment où on aura finalisé toutes les manœuvres de mise en sécurité de l’étage supérieur par rapport au télescope. On aura donc une première respiration environ 1 700 secondes après le décollage à la séparation du télescope mais aussi 1500 secondes plus tard quand la fin de mission du lanceur sera effective. On dépouillera ensuite l’ensemble des paramètres du lanceur reçus par la télémesure afin de vérifier que le lancement s’est bien passé. 13 jours après le lancement, le télescope déploiera son miroir principal et ce n’est qu’au bout de 29 jours qu’il rejoindra le point de Lagrange (L2) : point d’arrivée du voyage mais point de départ de l’extraordinaire mission de JWST. Cela confirmera que le travail d’Ariane 5 a été bien fait.
Qu’est-ce que cela vous fait de participer à ce vol historique ?
On se rend compte que c’est un lancement très particulier, JWST remplacera Hubble et les attentes scientifiques qu’il suscite sont nombreuses : on a hâte de voir ses premières images. Mais chaque lancement est particulier même si certains sont plus sous les flashs de l’actualité : on en a vécu bien d’autres et on en revivra à nouveau avec Ariane 5 (par exemple avec le lancement de JUICE) et sa petite sœur Ariane 6 !
Source de l’interview : Ariane Group
#WebbFliesAriane
Un grand merci pour JWST – Interview de Stéphane Leboucher, Head of Ariane Mission Preparation and Customization