La 3ème Journée Innovations Métallurgiques pour l’industrie de la Défense (JIMID3) s’est déroulée le 12 octobre 2021 à l’Ecole militaire (Amphithéâtre Foch), à Paris. Cette journée consacrée à la défense, ainsi qu’aux industries aéronautique et spatiale, était centrée sur deux thématiques, d’une part les traitements de surface innovants et les problèmes environnementaux, d’autre part les avancées dans le domaine des matériaux métalliques.
Miss Konfidentielle, invitée, a eu l’occasion de rencontrer et d’échanger avec les industriels de l’aéronautique et de la défense, les organismes de recherche et les centres techniques, les institutions publiques et privées en lien avec le monde de la défense.
Aussi, ne serait-il pas sympathique et instructif de partager avec vous quelques informations autorisées ? Une manière de s’ouvrir l’esprit vers de nouveaux sujets, en lien notamment avec la protection de l’environnement.
La journée JIMID3 organisée dans les locaux de l’Ecole Militaire de Paris par le CEM, Cercle d’Etudes des Métaux, en collaboration avec l’IHEDN, la DGA, l’ONERA, ERAMET, A3M et le COMES a rassemblé près de 200 personnes, constituées par 63% d’industriels, 19% de représentants des Centres Techniques, 9% d’universitaires et 9% d’institutionnels.
La cérémonie d’ouverture a été marquée par cinq allocutions. Au nom du général Bruno DURIEUX, l’ingénieur général de l’armement Jacques ROUJANSKY, chef de la majeure « Défense et Sécurité Economique » de la session nationale de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale, a rappelé la finalité de l’IHEDN, centrée sur le concept de défense globale.
L’ingénieur général de l’armement Jean-Christophe CARDAMONE a partagé pour l’auditoire l’expérience de quarante années au service de la DGA. Il a rappelé que le progrès dans les matériaux est décisif pour assurer la supériorité d’un système d’armes (ex ; le Rafale) et mis en avant le rôle tenu par des sociétés comme Dassault et Aubert & Duval dans l’industrialisation d’un projet, point toujours menacé par les contraintes financières.
L’ingénieure générale Céline SELLIER a détaillé les domaines dans lesquels la recherche métallurgique paraît la plus nécessaire pour la défense nationale : les moteurs d’avion, plus performants s’ils fonctionnent à des températures plus élevées, les structures concernées par la réglementation REACh, les blindages plus performants dans un souci d’allègement, la chaîne de propulsion des sous-marins avec notamment l’amélioration des coques et l’apport de la simulation numérique. Toutes préoccupations qui se retrouvent dans le programme de la présente JIMID.
Emmanuel CHIVA a présenté les modalités de l’action de l’Agence Innovation Défense qu’il dirige. Plus de 300 thèses sont financées dans le cadre des ‘projets technologiques défense’ (autrefois : études amont). Un fond innovation défense est destiné à faire émerger des innovations de rupture. Et il souligne que les matériaux sont la clef de la performance opérationnelle.
Jérôme FABRE, Président Directeur Général de la branche Alliages Hautes Performances du Groupe ERAMET, a évoqué l’adaptation de son entreprise face à la crise du secteur aéronautique, surtout des longs courriers, qui fait suite à la pandémie. Mais cette crise ouvre aussi l’opportunité de se repositionner sur les domaines de la défense et de l’énergie, notamment sur les matériaux critiques pour la souveraineté (titane, superalliages). Il souligne en conclusion que dans sa vision, les JIMID sont un rendez-vous clef pour l’innovation.
La première séance de travail a regroupé cinq communications sur la thématique de la recherche de solutions de traitements de surface compatibles avec les contraintes environnementales.
La 1ère présentation réalisée par Gilles CHOLVY de Nexter Systems dresse le bilan de cinq années d’étude pour rechercher des solutions de traitements de surface compatibles avec les contraintes environnementales. Parmi ces contraintes, on peut citer celles liées au chrome dur sur pièces sollicitées ou non sur le plan thermomécanique. Dans le premier cas, il n’y a pas pour l’instant de solution industrielle validée, les dépôts PVD et électrolytiques avec Cr3+ sont en cours d’évaluation, par contre, il y en une avec le nickel chimique dans le deuxième cas. Pour le remplacement du chrome noir utilisé sur la surface extérieure des tubes d’armes, la solution du zinc-nickel noir est en cours de déploiement industriel. Pour le remplacement du traitement de conversion alodine 1200 sur pièces mécaniques en alliage d’aluminium, un traitement de substitution a été trouvé avec les solutions à base de chrome trivalent avec zirconium. D’autres solutions sans apport de chrome sont en cours d’étude avec l’IRT-M2P. Le remplacement du cadmium bichromaté dans la connectique fait l’objet d’études avec l’IRT-M2P sur le revêtement de zinc-fer.
Le 2ème exposé présenté par David SINOPOLI d’Airbus Helicopters a été relatif aux solutions de protection contre la corrosion des pièces en alliage d’aluminium. L’anodisation sulfo-tartrique conforme aux contraintes environnementales a été substituée à la solution d’anodisation sulfo-chromique fortement impactée pour les applications corrosion, adhérence peinture et l’anodisation phosphochromique pour les applications collage. La pérennité de ce traitement a été améliorée par une analyse détaillée des paramètres opératoires. L’agressivité de l’environnement a fait l’objet d’études spécifiques en vue d’établir des classes d’environnement et d’améliorer la représentativité des procédures d’essais de corrosion accélérés.
Le 3ème exposé présenté par Marjorie CAVARROC de SAFRAN Technologies en relation avec l’Université de Bordeaux a été relatif aux solutions de rupture technologique telles que la technique HiPIMS (High Power Impulse Magnetron Sputtering) et la technique SFCD (Supercritical Fluid Chemical Deposition) assimilée à la technique de dépôt chimique en phase vapeur en milieu dense. Il s’agit de trouver des solutions de substitution au chrome dur utilisé pour ses propriétés de résistance à l’usure et de tenue à la corrosion. Les revêtements de substitution réalisés par les deux techniques HiPIMS et SFCD sont TiN pour la résistance à l’usure et TaN pour la tenue à la corrosion sur des épaisseurs de quelques μm. La technique HiPIMS a permis de réaliser des dépôts de taille nanométrique parfaitement homogènes au point de vue composition chimique et microstructure dans toute leur épaisseur. La seule limite est l’épaisseur du revêtement et ce verrou technologique pourrait être levé par la technique SFCD.
Le 4ème exposé présenté par Cécile DAVOINE de l’ONERA a été relatif à des techniques innovantes destinées à augmenter l’efficacité du refroidissement des éléments de turboréacteurs pour chambres de combustion. Il s’agit d’utiliser l’impression 3D et la fabrication additive pour réaliser un refroidissement par transpiration, technique peu répandue industriellement, mais très prometteuse. L’utilisation de la technique de fusion par faisceau d’électrons (Electron Beam Melting) a permis d’obtenir des matériaux poreux dont la surface d’échange a été multipliée par 3 en jouant sur les paramètres vitesse de balayage et puissance du faisceau. Des essais sur banc aérothermique et des simulations numériques ont permis de montrer que la structure obtenue permettait d’améliorer les conditions de refroidissement.
Le 5ème exposé présenté par Gilles LE PAGE de MBDA, filiale d’AIRBUS, de BAe Systems et de LEONARDO, a été relatif aux problématiques de REACh pour les traitements de surface, avec notamment l’élimination des chromates fortement utilisés dans les revêtements de chrome dur et les traitements de conversion des alliages d’aluminium, ainsi que l’élimination du cadmiage pour les pièces destinées à de hauts niveaux de sécurité. Des solutions de substitution ont été recherchées et qualifiées depuis une vingtaine d’années dans le cadre de programmes coopératifs. C’est ainsi que le cadmiage a été remplacé par les dépôts de zinc nickel 12/16% sur des aciers de résistance mécanique inférieure ou égale à 1450 MPa et l’anodisation sulfurique fine s’est substituée à l’anodisation chromique sur alliages d’aluminium corroyés. Sur les pièces de fonderie en alliages d’aluminium, une solution alternative par traitement d’anaphorèse est en phase de qualification. Les traitements de conversion aux chromates sur alliages à haute résistance des séries 2000 et 7000 sont en voie de substitution par des reconceptions avec protection accrue par augmentation des zones peintes et des zones d’épargne.
La deuxième séance de travail a regroupé six communications avec plusieurs thématiques, le développement de nouveaux alliages à hautes performances, les matériaux à hautes caractéristiques mécaniques à chaud et pour protection balistique, les apports de la simulation numérique, de la fabrication additive, de l’assemblage par friction et de l’expertise en physique des chocs.
Le 1er exposé, réalisé conjointement par Charlotte MAYER et Sandrine BOZZI d’Aubert et Duval a été relatif au développement de nouvelles nuances à hautes performances dans le domaine des aciers au carbone, des aciers inoxydables et des alliages base Ni et Co. Dans le domaine des aciers pour l’armement de petit calibre, il s’agit de l’ARMAD®, nuance à hautes caractéristiques obtenues par une maitrise des paramètres clés de l’élaboration avec l’obtention d’un très bas niveau d’éléments résiduels. Dans cette même rubrique, il faut signaler le développement des nuances d’aciers inoxydables à durcissement structural MLX17 et MLX19 extrapolés du 13-8Mo, élaborés sous vide et refondus ESR, dont les caractéristiques mécaniques sont identiques à celles de l’acier AISI4340 avec une bonne résistance à la corrosion. Ces aciers sont utilisés pour les applications aéronautique et missile, sans utiliser des revêtements de cadmium toxiques. Dans le domaine des superalliages pour disques tournants, il a été créé l’AD730® pour ses qualités de tenue à la fatigue et de résistance au fluage jusqu’à des températures de 750°C. Le traitement thermique est adapté pour avoir, soit le meilleur compromis entre les caractéristiques de résistance, de tenue à la fatigue et au fluage (grains fins), soit pour privilégier la tenue au fluage et à la propagation des fissures (gros grains). Dans le domaine de la fabrication additive, Aubert et Duval commercialise des poudres d’aciers et de superalliages atomisées au gaz, ainsi que des poudres d’alliages de titane atomisées sous plasma. Trois axes ont été développés dans ce domaine, le développement d’alliages mis au point par les clients (l’alliage base Ni ABD® 900AM mis au point par Alloyed et l’alliage base Co MHA3300 mis au point par Mitsubishi Power), la modification d’alliages comme l’AD730®, le 738LC très chargé en phases durcissantes et l’acier maraging TS700, pour qu’ils soient compatibles avec la fabrication additive, ainsi que l’optimisation du traitement thermique pour réduire dans les superalliages la taille de grains et améliorer la répartition des phases intermétalliques responsables du durcissement.
Le 2ème exposé, réalisé par Damien DELORME d’Industeel France a été relatif aux aciers à hautes performances pour la protection balistique des plateformes terrestre ou navale. Cette protection nécessite des matériaux à hautes caractéristiques pour résister aux impacts, à l’effet de souffle et à la rupture par fatigue. C’est le domaine des aciers à blindage de haute et très haute dureté (280 à 650 HB) commercialisés sous la marque Mars®. L’amélioration des caractéristiques de ces aciers permet de réduire la masse des structures et d’augmenter la mobilité des véhicules. La métallurgie des aciers à blindage est basée sur une structure martensitique revenue à basse température. L’acier Mars 440 constitue un bon compromis entre dureté, ténacité, aptitude à la mise en forme, bien adapté aux profils de véhicules pour protection anti-mines. L’acier Mars 600 peut être utilisé à la fois comme surblindage et matériau de structure, l’acier Mars 650 est destiné au préblindage et au surblindage. Les perforations réduisent la masse surfacique de la plaque de blindage, limitant ainsi la propagation des fissures et constituant un excellent surblindage. Des développements sont en cours à partir d’ajout de 9% d’aluminium pour réduire la masse spécifique de 12%, sur la base d’une structure austénitique à durcissement structural.
Le 3ème exposé, réalisé par Florent BRIDIER de Naval Group, a été relatif à la simulation numérique des procédés de fabrication. L’apport de cette technologie est fondamental pour le dimensionnement, la réalisation et le maintien en conditions opérationnelles des structures navales de Défense. Plusieurs exemples ont été donnés, la prévision des déformations et contraintes résiduelles associées aux opérations de soudage, l’optimisation d’une séquence de formage de tôle épaisse, ou la maîtrise du cumul thermique et des tolérances géométriques dans des pièces élaborées par fabrication additive. Dans le premier cas, un développement méthodologique a été réalisé avec le projet AMERICO dans le but de quantifier l’influence de l’ensemble des paramètres matériau et lois de comportement dans la simulation de l’opération de soudage. Une base de données de simulations transitoires sur modèles locaux a permis de formuler analytiquement le retrait selon l’énergie de soudage et l’épaisseur des tôles et de prédire la déformation globale de panneaux raidis avec de multiples soudures. Le formage de tôles épaisses p ar emboutissage, roulage ou sertissage et le procédé de fabrication additive par la technique arc-fil ont fait également l’objet de simulations numériques.
Le 4ème exposé, réalisé par Meriadeg REVAUD d’Ariane Group a été centré sur les applications industrielles de la fabrication additive. Les procédés utilisés sont essentiellement la fusion laser sur lit de poudre (technique LBM) pour les pièces de forme complexe destinées aux moteurs cryogéniques tels que Prometheus, Vulcain ou Vinci® et la technique arc-fil pour la fabrication de pièces de grandes dimensions. La technique LBM permet de fabriquer des pièces de formes très complexes sans surcoût, ce qui donne aux concepteurs la possibilité d’imaginer de nouveaux systèmes plus performants, plus compacts, avec une meilleure optimisation de la masse et une réduction sensible de la durée de mise au point. La technique a été développée initialement sur des pièces de forme simple du programme Ariane 5, puis sur des pièces plus complexes du programme Ariane 6 avec optimisation du design, adaptation du traitement thermique, du traitement de surface et des moyens de contrôle.
Le 5ème exposé, réalisé par A. de MONCLIN de la société lyonnaise TRA-C a été relatif au procédé de soudage par friction malaxage. Ce procédé d’assemblage, tout à fait adapté aux liaisons hétérogènes multi-matériaux correspond parfaitement à la nécessité de conduire au meilleur rapport Résistance / Masse avec une bonne productivité et en conformité avec les contraintes environnementales. Après la présentation de quelques exemples de développement dans le domaine de la Défense, comme la jonction de structures blindées, le soudage qualifié jusqu’à 35mm d’épaisseur d’aluminium blindé, le développement d’un joint en T avec réduction de masse de 30%, l’assemblage de panneaux structurels pressurisés, le soudage alliage de fonderie/plaque emboutie, de nouvelles perspectives sont évoquées dans le cadre de l’industrie du futur, comme le gain de masse en aéronautique, l’utilisation de fortes épaisseurs et la protection balistique dans l’industrie de la Défense.
Le 6ème exposé présenté par Pierre HEREIL de THIOT INGENIERIE a été relatif à la synergie entre expérience et simulation numérique dans le domaine de la physique des chocs. Au travers d’exemples d’application, l’accent a été mis sur les différences fondamentales entre le régime de déformation quasi statique et le régime dynamique dans le cadre de la propagation d’ondes dans la matière. En statique, la structure l’emporte sur le comportement
alors qu’en dynamique, le comportement l’emporte sur la structure. La limite entre les deux domaines se situe pour des vitesses de déformation de 10-4.sec-1. Des exemples de modifications structurales liées aux phénomènes de physique des chocs ont été donnés dans le domaine de matériaux ayant des lois de comportement très différentes, comme les matériaux métalliques, les céramiques et les géomatériaux.
La conclusion de la journée a été tirée par François MESTRE, Ingénieur en chef de l’Armement, Chef du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique à la DGA. François MESTRE a tout d’abord rappelé les spécificités du marché de l’armement : faibles volumes, marché tiré par la demande, de temps long et très règlementé. Une autre spécificité est le haut niveau d’investissement en R et D, les quelques 8000 personnels techniques de la DGA sont tournés vers l’innovation, enjeu stratégique vital. Par ailleurs, l’état participe fortement aux instances de gouvernance des sociétés et à leur stratégie, il investit dans ces sociétés et dans plusieurs Pôles de Compétitivité, surtout dans le domaine de l’innovation. L’industrie de la défense, c’est 28 milliards € de CA dont 7 à l’exportation, elle concerne 4000 ETI/PMI dont un millier est considéré comme stratégique, d’où un plan PMI.
La filière métallurgique est fondamentale : blindages, superalliages, aciers HLES …
Dans ce domaine, la France est au meilleur niveau mondial, elle doit garder son excellence, tout en restant compétitive. Pour ceci, il faut de plus en plus raisonner au niveau européen.
Pour terminer, François MESTRE a dégagé quelques axes de réflexion stratégiques :
- Etre moteurs dans la fabrication additive,
- Relever le défi de la formation et du recrutement, se mobiliser pour cela (exemple des soudeurs)
- Bien prendre en compte les problématiques de l’environnement et du recyclage (filière du Titane)
- Bien considérer la défense dans la stratégie industrielle, et ceci au niveau européen
- Assurer la sécurité des approvisionnements.
Miss Konfidentielle a pris des photos de l’Ecole militaire en repartant.. et a fait une jolie rencontre !
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