Tu es parti le 26 novembre 2017, cela fait trois années, et pour autant tu es toujours là. Nous nous sommes rencontrés en 1973 à Strasbourg et ne nous sommes jamais quittés. Tu as intégré la police nationale en 1976 et j’ai suivi ta vie de policier à Strasbourg en tant que CRS jusqu’en 2002.
Aujourd’hui, j’ai envie de partager avec les lecteurs de Miss Konfidentielle ce qui a été le quotidien, déjà difficile à l’époque du métier de CRS (Compagnie Républicaine de Sécurité).
Bonjour Dominique,
Pour quelle raison Jean-Claude a t-il rejoint la police nationale ?
Cela s’est fait d’une manière amusante alors qu’il était ambulancier à Strasbourg puisque c’est lors d’une partie de tarot avec des amis que l’un deux, Christian, a lancé le pari au gagnant de passer le concours d’entrée à la police nationale.
Il se trouve que Jean-Claude a gagné. Il a passé le concours et l’a réussi.
Il est alors parti suivre sa formation à l’école nationale de police à Reims.
Et comment avez-vous réagi à cette nouvelle ?
Je travaillais au CHU de Strasbourg au service infantile, en chirurgie.
Je n’étais pas étonnée de son choix qui correspondait plutôt bien à son tempérament et ses valeurs républicaines.
Pour autant, je n’avais pas pris conscience du changement de vie qui m’attendait.
Pourquoi dites-vous cela ?
L’intégration de mon mari à la CRS N° 37 a tout de suite posé des questions de couple.
Ses bons résultats à la sortie de l’école nationale de la police lui permettaient de choisir son affectation. Le Sud de la France le tentait bien.
De mon côté, j’avais ma vie professionnelle épanouissante. La chirurgie infantile était un véritable engagement qui dépassait le cadre d’un simple métier, c’était celui du coeur. L’envie d’accompagner les enfants malades avec l’équipe. C’était aussi un poste très envié. Je m’y sentais bien.
De plus, nous avions un enfant et lui avait ses repères à Strasbourg.
Nous avons pesé le pour et le contre de ce déménagement et avons décidé de rester à Strasbourg.
J’avais des horaires décalés avec mon métier, les trois-huit.
Lorsque Jean-Claude était ambulancier, les horaires étaient plus réguliers. Ainsi nous pouvions gérer notre vie de couple et de famille.
Lorsque Jean-Claude a intégré les CRS, tout a changé. Il a très rapidement été absent de jour comme de nuit. Il assurait la sécurité des citoyens et des institutionnels, notamment dans le cadre des événements organisés au Palais de l’Europe, siège du Conseil de l’Europe. Il s’en est suivi des déplacements à Paris, sur tout le territoire national.. En Corse, en Nouvelle-Calédonie trois mois.
Pendant ce temps, le quotidien devenait lourd à gérer avec trois enfants. Jean-Claude m’appelait quand il pouvait et j’ai dû m’habituer à cette vie là. Je n’ai pas eu le choix. A un moment, il a fallu que je me mette en disponibilité pour être présente auprès de mes enfants.
Comment avez-vous vécu ce changement de vie ?
Je me retrouve mère au foyer et commence à ressentir de la solitude.
Une solitude qui s’est d’autant plus renforcée que Jean-Claude aussitôt rentré à la maison de mission repartait sur le terrain. Ce qui ne nous laissait pas le temps de nous retrouver et pour lui de voir vraiment grandir ses enfants. J’avais bien conscience que cela n’était pas facile pour lui de gérer à la fois son engagement de bien faire son métier de policier et celui d’être père de famille.
A la solitude s’ajoutait la souffrance du manque de communication croissante sur son métier.
J’avais bien compris et je respectais le fait qu’il soit tenu au secret sur ses missions, il n’empêche qu’en tant qu’épouse il est difficile de ne pas pouvoir partager les difficultés qu’il rencontrait. Je me sentais impuissante. Au point à un moment d’être malade.
Et que s’est-il passé ?
Jean-Claude a compris mon mal-être et a demandé une affectation afin d’être sédentaire. Il a alors été rattaché à une autre équipe qui travaillait à Strasbourg et Metz.
Je l’ai remercié bien évidemment. Cela nous a permis d’être beaucoup plus ensemble et de vivre une vie de famille plus normale.
Il est resté fort heureusement à ce poste jusqu’à la retraite.
Quels sont les messages que vous souhaitez faire passer au vue de votre expérience de femme de policier et des actualités ?
- Je souhaite faire passer des messages aux citoyens
Lorsque je regarde les informations et que je repense à la carrière de mon mari, je me dis que les CRS et FDO sont de moins en moins respectés par les citoyens. Je constate de manière générale un manque de considération pour eux très inquiétant.
Si je prends un sujet d’actualité récent, à savoir « le croche-pied d’un policier à un migrant place de la République à Paris », je suis d’accord que le policier a eu un geste malheureux. Mais il faut bien comprendre que les policiers sont sur tous les fronts, et de plus en plus. Je pense aux gilets jaunes, le terrorisme, la Covid-19, les migrants… Les CRS et FDO ne sont pas des robots ! Simplement des humains comme vous et moi. Ce qui me choque aussi, c’est d’entendre des journalistes donner des informations sur la famille de ce policier ! Ces informations ne regardent pas les citoyens d’autant que certains ne se gênent pas après pour s’attaquer aux policiers et leurs familles. Je me souviens que déjà à l’époque, dans les années 80′, mes enfants ne voulaient pas qu’à l’école on sache que leur papa était policier, et encore moins CRS de crainte d’être repoussés.
Je pense que des journalistes feraient mieux de réfléchir avant de parler.
En matière d’exposition, les réseaux sociaux font du tord aussi. Je prends l’exemple d’un autre sujet d’actualité, celui des « vidéos ». A mon sens, les policiers filmés sont trop exposés d’autant plus que les vidéos sont de plus en plus transformées. Les fake news se multiplient.. alors finalement où est la vérité ? Tout cela me révolte.
- Je souhaite faire passer des messages aux ministères
Depuis 1976, date à laquelle mon mari à intégrer la CRS N°37, la charge de travail des CRS, celles et ceux qui sont sur le terrain au quotidien, n’a fait que s’accroître. Actuellement de manière exponentielle.
Je constate aussi que l’irrespect du citoyen à l’égard du CRS et des FDO est devenu intolérable.
Les CRS et les FDO se sentent de moins en moins en sécurité, tout comme leurs familles.
Il est donc urgent de tous les protéger.
Quelle est votre vie aujourd’hui, trois années après le départ de Jean-Claude ?
Je n’ai pas à me plaindre de ma situation.
Il me manque chaque jour. C’est comme cela, la maladie l’a emporté.
Même si avoir été l’épouse d’un policier n’a pas été toujours chose facile, cela a été un honneur.
Je suis de tout coeur avec les CRS et leurs épouses, car la vie est devenue bien difficile pour eux.
Ce qui est sûr, c’est que je soutiens la police.
Merci Dominique pour votre touchant témoignage recueilli le 26 novembre 2020.
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