21 septembre 2020 – Suite à l’interview de Yann Bessette, Miss Konfidentielle poursuit ses interviews de policiers prêts à partager avec nous leur expérience du terrain. Aujourd’hui, Christelle Gérard est à l’honneur. Chef des Unités de Police Secours (UPS) à Villeneuve-Saint-Georges, elle fait preuve d’un courage certain en se consacrant depuis plus de vingt ans à la sécurité d’une circonscription difficile, où tout est possible. Face à une réalité quotidienne souvent terrible, Christelle Gérard reste passionnée par son métier, pleine d’énergie, d’efficacité et d’humanité.
Bonjour Christelle,
Racontez-nous comment vous êtes arrivée à Villeneuve-Saint-Georges
Je suis née dans un petit village des Vosges.
J’ai toujours voulu devenir Policier : c’est ancré en moi depuis mon enfance.
De plus, mon père était pompier volontaire tout comme d’autres membres de la famille.
Il fréquentait les gendarmes du village dans le cadre de ses interventions, puis des contacts se sont noués au quotidien. J’ai été amenée à les côtoyer depuis très jeune et ils ont été une inspiration dans une certaine mesure.
C’est cet environnement qui m’a donné envie de passer les concours de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale. Ayant passé et réussi le concours de la Police en premier, j’ai choisi la Police. Quelques mois plus tard, j’apprenais avoir été aussi reçue au concours de la Gendarmerie.
J’ai quitté la Lorraine en 1997 afin d’intégrer l’Ecole Nationale de Police de Draveil (91).
Inutile de vous dire que le cadre de vie était bien différent ! Et ce d’autant plus lorsque j’ai fait mes stages au commissariat de Villeneuve-Saint-Georges (94). La vie plutôt calme de la campagne m’a rapidement semblé lointaine.
Je me suis adaptée et à la fin de mon école, j’ai eu la possibilité d’intégrer le commissariat. Ce que j’ai fait.
Quel a été votre parcours au sein du commissariat de Villeneuve-Saint-Georges ?
- Un début de carrière dans un contexte particulier
Au commissariat de Villeneuve-Saint-Georges, j’ai été bien accueillie même si certains anciens n’étaient pas toujours faciles avec moi considérant que la Police était un métier d’hommes. Il faut savoir qu’à cette époque, nous n’étions encore que très peu de femmes à rejoindre la Police.
Pour les lecteurs qui connaissent peu ou pas Villeneuve-Saint-Georges, il est important que je vous décrire au fil de notre entretien la situation sociale de cette circonscription située dans le Val-de-Marne qui comptait déjà plus de 100 communautés différentes vivant ensemble, avec de la misère humaine à tous niveaux : pauvreté, alcool, violences, trafics de stupéfiants…
J’ai donc été affectée à l’issue de ma scolarité en Brigade de Police Secours de jour où j’ai pu commencer à me constituer une riche expérience du terrain avec tous les types de missions qui peuvent être initiées par les appels 17 dans un premier temps mais également les missions d’initiative, dans un second temps.
J’ai découvert que la police secours requiert des compétences individuelles variées que l’on tire le plus souvent de sa propre expérience personnelle et que notre champ d’action dépasse souvent de loin l’idée que l’on s’en fait.
Une de mes premières interventions marquantes ?
Un double meurtre d’un père de famille au sein de son propre foyer. Lorsque je suis arrivée sur les lieux, c’était terrible : les victimes étaient sa femme et un bébé de six mois. J’ai dû gérer l’opérationnel et cela m’a beaucoup marqué, d’autant plus qu’en cas d’exposition au sang, un lourd protocole médical se met en place.
- En 1999, intégration de l’Unité de Traitement Judiciaire en Temps Réél
Au service des plaintes, nous traitions beaucoup de choses mais, le plus souvent, c’était les violences conjugales qui revenaient.
Des femmes déposaient plainte fréquemment pour ce motif et la retiraient presque aussitôt car elles vivaient dans une spirale dans laquelle elles avaient du mal à sortir et la pression psychologique de l’homme sur la femme peut être très forte.
La violence conjugale est devenue mon quotidien malheureusement au fil des années.
Les violences physiques sont visibles et plus facile à établir mais d’autres, comme les violences sexuelles, sont plus difficiles à prouver.
On a la chance d’avoir des médecins, des psychologues, des psychiatres et les personnels urgentistes présents pour les aider. Ensuite il y a les enquêtes sociales et les enquêtes de voisinage qui donnent beaucoup d’éléments.
On constate qu’en fonction des communautés, il est plus ou moins facile d’obtenir la réalité. Sachant qu’une réalité n’est pas figée.
Les communautés ont leurs spécificités, leurs coutumes, leur religion, leur langage…
Tous ne parlent pas français, ce qui complique encore plus la donne.
On constate à Villeneuve Saint Georges, par exemple, que la communauté de cap-verdiens s’agrandit depuis quelques années, tout comme la communauté des moldaves et des roumains, la communauté nord-africaine et la communauté des gens du voyage nomade et sédentaire. Les sri-lankais et pakistanais, quant à eux, tiennent de plus en plus de petits commerces de proximité. Et il existe encore beaucoup d’autres communautés…
Tout le monde vit ensemble, excepté les gens du voyage qui vivent en communauté.
Je pense que les problèmes ne viennent pas du fait que tous vivent ensemble mais de la précarité et de pauvreté. La ghettoïsation ne serait pas la solution. Un point positif cependant : les enfants sont majoritairement scolarisés.
Une nouveauté à préciser, l’arrivée croissante des migrants dans la circonscription. Sans ressource, leur moyen de survie consiste le plus souvent à squatter, cambrioler, et à s’adonner à des trafics en tous genres (cigarettes, stups..) et les vols commis avec violences.
Au début du confinement lié à la crise sanitaire Covid-19, des migrants de Barbès (quartier parisien) sont venus chez nous Rue de Paris, centre-ville de Villeneuve-Saint-Georges, afin d’imposer leurs lois.
On a ainsi assisté à des guerres de territoire inédites liées à des trafics (cigarettes de contrebande,..). Cela impacte immédiatement la population.
- En 2000, je suis affectée à la brigade des accidents et délits routiers
J’étais en charge de l’accidentologie corporelle et mortelle ainsi que des procédures de délits routiers.
Villeneuve-Saint-Georges connaît une très forte concentration de véhicules qui crée des embouteillages et un brouhaha permanent. Ceci renforcé par les avions qui passent, la ville étant située à 10 kilomètres de l’aéroport Paris-Orly. Cette situation génère de l’énervement et des accidents.
En 2000, il y avait beaucoup d’accidents mortels impliquant les deux-roues, nombreux m’ont marquée. Il y en a un qui a laissé particulièrement des traces, celui d’un collègue à moto happé par un poids lourd. Un autre, alors que j’étais jeune maman m’a profondément touchée aussi, le décès d’un petit garçon de 6 ans percuté par une voiture. J’ai eu la terrible charge d’annoncer la nouvelle à sa maman. Je me souviens de son prénom et de la date.
Je suis devenue Chef de la Brigade en 2004.
Aussi, je gérais et formais l’équipe tout en poursuivant mon travail au quotidien. Notre travail a permis d’apporter certains aménagements de voirie en lien avec l’accidentologie constatée et notamment l’implantation d’un radar de vitesse à l’entrée de la ville, en conséquence d’un accident mortel.
- En 2011, j’ai eu envie de changement
J’avais envie de changer de service afin de découvrir d’autres activités et traiter des sujets moins graves. Plus administratifs.
C’est ainsi que je me suis concentrée sur les affaires contraventionnelles et, en parallèle, la gestion administrative des Ressources Humaines.
Ma mission consistait à traiter le contingent des affaires contraventionnelles du service, et j’ai assurée quelques temps l’intérim du responsable de l’Unité de Gestion Opérationnelle. Il s’agit du secrétariat du service, qui assure la gestion de la vie administratives de l’ensemble des policiers du service.
- En 2013, je suis affectée à la tête de la Brigade de Police Secours de nuit – Appel 17
Ce retour sur la voie publique, de surcroît de nuit, constituait un nouveau challenge.
La délinquance nocturne est particulière, plus aguerrie, déterminée et violente et nécessite une adaptation de nos méthodes d’intervention.
J’étais en charge des missions PS (Police secours) : accidents; violences conjugales; les différends; vols avec effraction; des violences urbaines; les incendies de véhicules et refus d’obtempérer ; la prostitution dont celle des mineurs ; des viols ; de la lutte anticriminalité… Le panel est assez vaste…Tout ce qui peut se passer la nuit en banlieue parisienne.
Nos nuits étaient denses mais enrichissantes.
J’encadrais trois groupes qui travaillaient en cycle 4/2 ( 4 nuits de travail pour deux nuits de repos), avec un chevauchement de 2 nuits pour deux groupes quand le troisième était de repos. On bénéficie d’un week-end sur 6 de repos. Inutile de vous dire que cela n’a pas été facile de concilier vie professionnelle et vie de famille .
L’organisme fatigue aussi au bout de sept années mais je garde en mémoire de très belles affaires, notamment une magnifique interpellation d’un homme armé, commanditaire d’un règlement de comptes à la kalachnikov, en assistance de la BRI , et un esprit de cohésion très fort. Durant ces années de nuiteuse, j’ai eu l’honneur d’être décorée à trois reprises : A deux reprises, suite à d’importants incendies au cours desquels nous avons évacué des personnes en grave danger de mort , je me suis vue décerner la médaille de bronze pour actes de courage et dévouement. La troisième décoration correspond à la médaille d’honneur de la police nationale.
- Depuis janvier 2020, je travaille de jour et j’encadre l’ensemble des équipes de police secours, de jour et de nuit.
La crise sanitaire du Covid-19 est arrivée et il nous a fallu organiser des services dégradés, c’est-à-dire qu’au lieu de fonctionner en 4/2, nous avons fonctionné autrement afin d’éviter de nous contaminer. Cela a été efficace. Curieusement, nous n’avons pas reçu plus d’appels pendant le confinement. Mais depuis le déconfinement, nous constatons plus d’appels. Plus de violence verbale et physique entre voisins et plus de violences infra-familiales. Plus d’agressions via les sites d’annonces (faux acheteurs).
Avec le recul, avez-vous des souvenirs cocasses à partager ?
Oh, j’en ai plein ! Et heureusement.
Je pense au jour, en 1998, où j’ai récupéré un éléphant sur la chaussée devant le Fort des Pompiers
de Paris, à Villeneuve Saint Georges. Il s’était sauvé d’un cirque. Nous n’étions pas formé pour ce
genre de capture et nous nous en sommes remis au Directeur du Cirque.
Et ce cambrioleur interpellé au domicile de la victime parce qu’après avoir vidé une partie de la
cave, il s’était endormi ivre sur le canapé.
Un autre souvenir, celui d’un accouchement : un véhicule circulait à très vive allure , au mépris des
règles . Le contrôle du véhicule s’est terminé en assistance à accouchement dans la rue.
Il m’est également arrivée d’intervenir chez une mère de famille qui ne parvenait pas à faire faire
ses devoirs à son garçon de 10 ans ou chez une autre qui menaçait son fils de faire venir la police
parce qu’il ne voulait pas finir son assiette..de nombreuses missions ne relèvent pas de la police
mais nous sommes perçus chez beaucoup comme la dernière solution.
Comment occupez-vous votre temps libre ?
J’aspire aux plaisirs simples de la vie, au calme . Je ne cherche pas nécessairement l’adrénaline…je
l’ai suffisamment à portée au travail.
Etre en famille, faire de la randonnée et photographier des moments furtifs illustrant la beauté nous
entourant, jardiner, bricoler…Je lis beaucoup aussi…
Je m’intéresse à l’Histoire et reste très attachée à ma région natale, les Vosges.
Au regard de votre expérience du terrain, que souhaitez-vous nous faire passer comme
messages ?
Les policiers sont des êtres humains qui travaillent par passion.
Nous avons choisi ce métier afin d’exercer nos missions, mais pas pour mourir. D’autant que nous
avons une vie de famille comme tout le monde.
Le policier a trois casquettes : l’aide et l’assistance ; la répression lorsque cela ne va pas ; le
maintien de l’ordre. Ces casquettes font ce que nous sommes. La casquette d’aide et d’assistance
nous demande de savoir faire preuve de psychologie et d’empathie. Ainsi il nous arrive très souvent
d’avoir un rôle d’assistant(e)social(e).Les autres casquettes demandent de la fermeté et du
discernement.
Nous sommes soudés entre policiers. Ce n’est pas une image d’Epinal, c’est bien la réalité.
Nous constituons une famille. Il ne faut pas oublier que notre sécurité, notre survie dépend aussi de
nos collègues.
Nous comptons les uns sur les autres. Aussi, lorsque l’un d’entre nous est blessé ou, pire, décède,
nous sommes tous touchés.
Nous vivons une période de plus en plus violente.
Les policiers manquent réellement de moyens. Manque d’effectifs et manque de budget.
Ce n’est pas un ou deux effectifs de plus par commissariat dont nous avons besoin.. Mais de bien
plus ! J’ai bien conscience que ce n’est pas simple à réaliser mais une dizaine de personnels
supplémentaires aiderait vraiment pour ce qui nous concerne.
Il nous manque aussi une reconnaissance plus générale de la société.On s’en accommode…
Mais nous ne sommes pas tous égaux et tous ne le vivent pas de la même manière.
J’aimerais terminer en disant que j’aime mon métier avec des moments sombres certes, mais aussi
d’autres plus agréables ! Personnellement, je préfère me focaliser sur le positif. Je pense à des citoyens qui viennent nous remercier pour ce que nous avons fait pour eux ou pour leur entourage. Par exemple, il nous arrive de recevoir des boîtes de chocolat, des fleurs ou simplement un merci. Il y a aussi ces interventions qui finissent bien parce que des vies sont sauvées. Celles-là rendent particulièrement tout son sens à notre métier. C’est là que nous avons le sentiment du travail accompli. C’est l’essence même de la Police Secours.
Miss Konfidentielle a rarement entendu autant de faits violents et terribles au sein d’une ville. Un entretien qui secoue moralement pour être honnête et qui aspire à ce que des solutions soient rapidement trouvées pour le bien de tous.