Bernard Valezy répond cette semaine aux questions de Miss Konfidentielle qui souhaite vous faire découvrir son parcours et l’ARPD (Assistance et Recherche de Personnes Disparues) dont il est le vice-président national et le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Bonjour Bernard,
Vous avez choisi de débuter vos études à la Faculté de droit de Saint-Étienne. Pourquoi ce choix et quel cursus avez-vous suivi par la suite ?
Originaire de Saint-Étienne, après un baccalauréat scientifique, je choisis de poursuivre des études de droit à la faculté de droit stéphanoise afin de préparer le concours externe de commissaire de police, métier que je rêvais exercer depuis toujours (tout au moins celui de policier avant d’apprendre qu’il était possible de commencer comme « patron »), Après un galop d’essai qui me conduisait à l’école nationale de la santé publique à Rennes comme élève inspecteur des affaires sanitaires et sociales, je passais le concours externe de commissaire de police en 1978.
L’ayant réussi, j’accomplissais mon service national au sein de la gendarmerie et rejoignais la 31e promotion de commissaire de police, à l’Ecole nationale supérieure de la police à Saint-Cyr-au-Mont d’Or, le 3 septembre 1979. Après deux ans de formation initiale accomplie au sein de l’établissement public et dans les différentes directions de la police, je choisissais mon premier poste en sécurité publique et plus exactement comme chef de la circonscription de Manosque.
Diplômé de l’ENSP, vous avez alors tout naturellement intégré la police nationale. Votre parcours est intéressant. Quelles ont été les fonctions qui vous ont le plus marquées tout au long de votre carrière ? Et celle que vous exercez aujourd’hui.
Cette première affectation dans la ville natale de Jean Giono, au sein des Alpes de Hautes Provence et à deux pas de la célèbre ferme des Dominici, me confirma dans ma vocation, d’autant que quelques mois après mon arrivée, j’étais amené, à 25 ans, à assurer l’intérim du directeur départemental implanté à Digne et donc à représenter la police nationale dans ce département. Je dois à tous mes collaborateurs de cette époque mon véritable apprentissage du management d’une équipe, d’un service, de la conduite d’enquête et de la gestion des liens entre la police et la population.
Cet engouement pour la police du quotidien ne me quittera plus et m’amènera à enchaîner les postes en sécurité publique à la tête de circonscriptions ou en occupant des postes plus spécialisés dans le domaine judiciaire (sûreté urbaine) ou dans celui de l’ordre public (conception et pilotage des importants services d’ordre mis en place à l’occasion de la coupe du monde de football en 1998). Je terminerai mes premières vingt années de carrière avec la mise en place de la police de proximité à Saint-Étienne, véritable expérience de rapprochement police-population dans une ville que je connaissais bien.
Commissaire principal et désireux d’enrichir mon expérience professionnelle, je prenais alors la direction de la délégation interrégionale du recrutement et de la formation Rhône-Alpes- Auvergne à Lyon en 2000. Relevant d’une direction nouvellement créée (la direction de la formation de la police nationale), avec la mise à disposition de moyens humains et matériels permettant d’innover, notamment dans le domaine de la promotion des métiers de la police, à la tête d’une équipe jeune et volontaire, je passais certainement là les sept plus belles années de ma carrière. Promu commissaire divisionnaire, je devenais alors patron de la délégation de discipline de l’Inspection générale de la police nationale sur la zone sud-est. Après avoir formé et recruté, ces quelques années passées au cœur même des dysfonctionnements policiers, me permirent de mieux mesurer les difficultés d’un métier difficile, contraignant, entraînant certains policiers à des erreurs, voir à des fautes graves nécessitant parfois une mesure de révocation.
Attaché à la région Rhône-Alpine où mes deux filles grandissaient, je profitais de la vacance du poste de directeur adjoint de l’École Nationale Supérieure de la Police pour solliciter et obtenir mon affectation en tant que n°2 de cette grande école de l’État que j’avais quittée, jeune commissaire de police, trente ans auparavant. A la demande de Frédéric Péchenard, alors directeur général de la police nationale, et en collaboration avec Hélène Martini, première femme à diriger cet établissement public, nous réalisions sa fusion avec l’école nationale supérieure des officiers de police située à Cannes-Ecluse, nous mettions en place le premier centre de recherche de la police nationale et ouvrions l’ENSP aux divers acteurs de la sécurité (directeurs sûreté/sécurité des grandes entreprises, dirigeants de sociétés de sécurité privée, détectives, directeurs de polices municipales). Quatre ans plus tard, la mission accomplie, je rejoignais l’inspecteur général Frédéric Lauze et le président de tribunal administratif Philippe Buchin, pour créer le service de médiation interne de la police nationale destiné à faciliter la résolution non contentieuse des conflits entre les policiers et l’administration. Développée depuis 2013, la médiation a désormais pris toute sa place dans l’organisation policière. Grâce à ses 12 délégués zonaux que je coordonne, les 150.000 agents de la police nationale peuvent désormais avoir recours au Médiateur afin d’obtenir un avis sur les différends qui les opposent à leur administration.
Peu de personnes connaissent l’ARPD (Assistance et Recherche de Personnes Disparues) alors que l’association joue un rôle vital. 60 000 à 70 000 personnes disparaissent chaque année sur le territoire français. Ces chiffres sont très importants inquiétants. Racontez-nous l’histoire, les missions, l’organisation, l’actualité de l’association..
« Assistance et Recherche de Personnes Disparues » est une association loi 1901 qui a été créée à Paris en 2003. Elle s’est ensuite développée en province. Depuis 2016, l’association s’est dotée de statuts nationaux. Avec plus de 100 enquêteurs bénévoles, elle est aujourd’hui l’association d’assistance aux familles de disparus la plus importante en France et est représentée sur tout le territoire national, y compris outre-mer (Réunion). Elle est présidée par madame Pascale Bathany et j’en suis le Vice-Président.
Le problème des disparitions de personnes est actuellement sous-estimé, à la fois par les pouvoirs publics, par les élus, et par la population.
Chaque année plus de 70.000 personnes disparaissent soit 190 chaque jour et 8 toutes les heures !
Même si une grande majorité de ces disparitions concerne des disparitions volontaires, il n’en reste pas moins que plus de 70.000 familles sont confrontées chaque année à l’angoisse de la disparition d’un proche.
50.000 disparitions concernent des mineurs (dont 48.000 fugues). Toutes les disparitions de mineurs sont considérées comme « inquiétantes » et doivent faire l’objet d’un signalement aux pouvoirs publics.1/3 de ces fugues durent moins de 48h, 1/3 sont résolues dans le mois et 1/3 durent plusieurs mois.
Les autres 2.000 disparitions de mineurs sont considérées comme « très inquiétantes (50 % concerne des enlèvements, notamment des enlèvements parentaux), les autres 50 % pouvant être des affaires criminelles (enlèvement et séquestration, prostitution forcée, meurtre).
Il est à noter que les disparitions de mineurs sont en progression constante depuis 2000 (+ 40 % en 20 ans)
En matière de disparitions de majeurs, sur les 18.000 disparitions inquiétantes constatées annuellement, 60 % concernent des « malades » – personnes psychologiquement instables ou atteintes de maladies neurodégénératives de type Alzheimer, personnes suicidaires. Les autres disparitions (40%) concernent des disparitions volontaires ou accidentelles ou des affaires criminelles (enlèvement, séquestration, homicide, dissimulation de cadavre)
À ces disparitions inquiétantes s’ajoutent environ 5.000 disparitions estimées non inquiétantes par les pouvoirs publics. (le caractère volontaire étant soupçonné dès le début de la disparition). Jusqu’en 2013 celles-ci étaient toutefois traitées par les services de police et de gendarmerie grâce au dispositif de « recherche dans l’intérêt des familles » (les RIF) permettant de réaliser une enquête sommaire mais surtout d’inscrire la personne disparue au « fichier des personnes recherchées » et ainsi de la retrouver lors d’un contrôle de voie publique.
Aujourd’hui, si la disparition n’est pas jugée inquiétante par les services d’enquête, aucune aide n’est apportée aux proches qui sont alors renvoyés sur les associations ou les réseaux sociaux.
Enfin, parmi toutes ces disparitions on estime annuellement à 1.000 celles d’entre elles qui ne seront jamais résolues. Ce sont donc plus de 1.000 personnes qui disparaissent définitivement en France chaque année, soit une ville moyenne de 20.000 habitants rayée de la carte tous les 20 ans !
Cette situation n’est pas acceptable. De nombreux parents de personnes disparues saisissent notre association afin d’obtenir un soutien dans leurs démarches, une aide lorsque les services de police ou de gendarmerie considèrent la disparition comme non inquiétante (un recours est alors possible auprès du Procureur de la République) et demandent des actions concrètes afin d’améliorer la réponse des pouvoirs publics à leur situation de détresse.
Pour répondre à leur attente, l’association fait 33 propositions qu’elle soutient auprès des divers ministères concernés (Intérieur, justice, santé, etc.)
Parmi celles-ci :
- la création d’un organisme interministériel chargé des disparitions de personnes,
- une refonte procédurale pour les enquêtes de recherche de disparus (excluant le distinguo subjectif entre les disparitions inquiétantes et non inquiétantes),
- la création d’un fichier des disparitions et des enterrés sous X,
- la reconnaissance du statut de victime pour les proches d’une personne disparue et du statut d’association d’aide aux victimes pour les associations telles que l’ARPD
- la systématisation de la géolocalisation pour les malades de type Alzheimer (lors nombre est en constante augmentation et les moyens de recherche engagés sont très conséquents)
- l’identification des enterrés sous X par l’ADN et le profil odontologique (avec mise en place d’un avis de recherche odontologique impliquant l’ordre national des chirurgiens dentistes – ils sont d’accord)
- la reconnaissance d’un statut du disparu volontaire permettant à des personnes voulant rompre avec leurs proches de le signaler tout en conservant la confidentialité de leur lieu de repli,
- la création de correspondants disparition départementaux dans les services de police et de gendarmerie,
- l’organisation d’assises de la recherche des personnes disparues afin de réunir toutes les parties concernées (Ministères, associations, etc.) et de faire des propositions concrètes pour faire évoluer la situation actuelle des recherches.
Enfin, dans sa phase de développement, l’ARPD est à la recherche de bénévoles afin de densifier son réseau de correspondants départementaux. A ce jour, parmi la centaine de bénévoles membres de l’ARPD, 1/3 sont des policiers, gendarmes, détectives, magistrats en activité ou retraités, 1/3 des proches de personnes disparues, 1/3 des membres de la société civile souhaitant s’impliquer dans le soutien aux familles de personnes disparues.
Chaque nouveau membre bénéficie d’une formation lors de son arrivée dans l’association.
L’objectif de l’ARPD est de disposer d’au moins un correspondant dans chaque département, les correspondants relevant d’une délégation régionale (toutes les régions sont actuellement couvertes)
(Photo de groupe de la dernière réunion de la délégation Auvergne-Rhône-Alpes en juin 2019)
L’ARPD développe également des partenariats avec des membres associés (avocats, agents de recherches privées, psychologues, associations diverses) afin de pouvoir orienter les familles vers des professionnels maîtrisant bien la problématique des disparitions.
Enfin, en l’absence de toute subvention publique, l’ARPD recherche des donateurs afin de pourvoir à ses frais de fonctionnement et aux frais de déplacement de ses bénévoles.
Toutes les personnes souhaitant aider l’association peuvent entrer en contact sur le site www.arpd.fr
Merci à vous pour toutes ces informations précieuses. Je vous propose de terminer notre entretien sur une note légère.
Après avoir pratiqué pendant de nombreuses années le basket-ball (ma taille facilitant les choses), la disponibilité nécessaire au métier de commissaire de police m’a ensuite amené à consacrer mes moments de liberté à des activités permettant un vrai ressourcement en m’isolant de l’environnement professionnel : pêche (là encore une passion depuis l’enfance), randonnées, généalogie, lecture et écriture, voyages (la Corse restant toutefois une de mes destinations préférée)
La Corse, c’est d’ailleurs là que s’est affirmée ma vocation pour devenir commissaire de police, Alors que je venais d’avoir mon bac en 1974, lors d’un Xème séjour en Corse en famille, nous récupérions sur le chemin du retour un auto-stoppeur sur une route, en plein maquis. Son bateau de retour était le même que le nôtre. La distance ne lui permettait plus d’embarquer à l’heure. Arrivé à Calvi nous nous séparions. Quelques mois plus tard, un courrier nous était adressé. Antoine Rossion, nous adressait ses remerciements (il nous avait identifié grâce à la plaque d’immatriculation du véhicule). Il indiquait qu’il était élève-commissaire de police. Je réalisais alors qu’un jeune étudiant pouvait intégrer l’institution policière au niveau de « patron » (les lectures des « Maigret » faisaient partie de ma littérature à cette époque et pour moi, le « taulier » était forcément un vieux!). Je recontactais Antoine qui, dans une longue lettre me vantait les atouts de ce métier passion et me donnait les pistes pour y arriver. Je suivais ses conseils et réussissais là où il m’avait précédé quelques années auparavant. Je suivais de temps en temps son parcours à travers les messages de mutation. 36 ans plus tard nous nous retrouvions, il occupait les fonctions de directeur adjoint de l’ENSP et quelques mois plus tard je le remplaçais après son départ à la retraite…..
Merci Antoine d’avoir été là au début et à la fin d’une histoire policière de quarante ans durant laquelle j’ai, toujours modestement, atteint les objectifs que je m’étais fixés, fidèle à la phrase de H. Jackson Brown qui m’a toujours guidé : « Face à la roche, le ruisseau l’emporte toujours, non par la force, mais par la persévérance ».