12 août 2019 – Miss Konfidentielle a le privilège d’interviewer Christophe Soullez, dont le parcours et l’homme inspirent le plus grand respect. Christophe Soullez est actuellement le Directeur de l’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales.
Bonjour Christophe,
Quelle est la mission de l’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP) ainsi que vos responsabilités ?
L’Observatoire National de la Délinquance (OND) a été créé en 2004 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, suite à un rapport parlementaire des députés Christophe Caresche et Robert Pandraud. Il s’agissait alors de créer une structure, indépendante du ministère de l’Intérieur, qui recueille des données sur la délinquance, les analyse et les diffuse au grand public afin de sortir des sempiternelles polémiques politiques et médiatiques sur la hausse ou la baisse de la délinquance. Par ailleurs, faisant le constat que les infractions enregistrées par la police et la gendarmerie ne reflétaient pas la réalité de la délinquance et pouvaient être manipulées, il a été demandé à l’OND de concevoir un autre dispositif de mesure de la délinquance.
C’est ainsi que, s’inspirant de ce qu’avaient fait les Etats-Unis depuis 30 ans et la Grande-Bretagne depuis 15 ans, nous avons conçu en 2007, avec l’INSEE, l’enquête nationale de victimisation « Cadre de vie et sécurité ». Puis, en 2009, lorsque l’Institut National des Hautes Etudes de Sécurité, dont l’ONDRP dépend administrativement, est devenu un établissement public à caractère interministériel rattaché au Premier ministre, l’OND s’est aussi vu confier des missions d’analyse des statistiques judiciaires. C’est ainsi qu’il est devenu Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales.
La mission de l’ONDRP porte essentiellement sur la diffusion de connaissances sur les évolutions et les caractéristiques des phénomènes criminels à travers l’exploitation de données statistiques. Nous réalisons donc des études à partir d’informations recueillies soit dans les bases de données de la police et de la gendarmerie, soit issues d’enquêtes en population générale. Nous travaillons donc en étroite coopération avec de nombreux partenaires : police, gendarmerie, justice, etc. Depuis deux années, nous avons également orienté certaines de nos activités vers la réalisation d’articles de recherche et nous essayons aussi de diffuser nos travaux à l’international lors de colloques et conférences. Pour ce faire je peux compter sur une équipe de jeunes chargés d’études motivés, investis et rigoureux.
J’ai eu la chance de pouvoir être recruté dès la création de l’OND. Il a donc fallu progressivement imposer celui-ci dans le paysage institutionnel et médiatique, veiller à sa crédibilité et à sa légitimité et surtout concevoir un programme de production et des relations de confiance avec nos partenaires au premier desquels figuraient l’INSEE, et les deux directions de la police et de la gendarmerie nationales. Deux personnes ont très largement contribué au développement de l’OND et donc à l’amélioration des connaissances des phénomènes criminels, Cyril Rizk, mon ancien collaborateur, attaché de l’INSEE, à l’origine de l’enquête de victimation, et Alain Bauer, Président du conseil d’orientation de l’OND pendant 10 ans, qui a su convaincre les autorités de la nécessité de disposer d’une telle structure. Je n’oublie pas non plus Stéfan Lollivier, Inspecteur général de l’INSEE, qui a assuré la présidence du conseil pendant 6 ans et qui a toujours été un soutien indéfectible, et les différents directeurs de l’INHESJ à qui nous sommes rattachés.
Organisez-vous la communication de résultats de vos études auprès du grand public ? et d’autres aux professionnels ?
Toutes nos études sont publiées sur notre site internet. Il n’y a aucune étude qui n’est pas publique. Bien entendu, avant leur publication, nous échangeons avec les producteurs de données ou les services opérationnels afin de confronter nos analyses. Mais une fois cet échange réalisé, l’étude est publiée.
Avez-vous des projets dans le cadre de l’ONDRP ?
L’ONDRP s’est lancé dans plusieurs projets d’étude importants qui s’étalent sur plusieurs années. Le premier, en collaboration avec le département « études et recherches » de l’Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), concerne l’exploitation du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Nous avons signé une convention avec la Direction générale de la police nationale qui nous permettra, comme cela avait été prévu dans le plan ministériel de lutte contre la radicalisation, de pouvoir étudier ce fichier. Nous avons également engagé une collaboration avec le Tribunal de grande instance de Bobigny afin de réaliser une étude sur la contextualisation des violences dirigées contre les fonctionnaires de police. Aux côtés de ces études « longues », nous avons beaucoup d’autres projets sur des thématiques très variées qui nous permettent d’alimenter régulièrement notre base de connaissances sur les phénomènes de délinquance.
… Parallèlement, vous avez d’autres responsabilités. Et pas des moindres.
Les responsabilités que j’exerce depuis plusieurs années m’ont en effet permis de diversifier mon activité notamment dans le domaine de l’enseignement. C’est ainsi que, grâce notamment à Frédéric Debove, directeur de l’institut de droit de Paris II-Melun, j’ai la chance de pouvoir enseigner soit dans des écoles professionnelles comme à l’Ecole Nationale Supérieure de la Police ou à l’Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale, soit dans d’autres établissements comme à Sciences Po Paris ou à l’Institut du management Public et Politique (ISMAPP). Cette activité d’enseignement est très importante pour moi. D’une part elle me permet d’échanger avec de futurs cadres des forces de sécurité et, d’autre part, je peux ainsi partager un socle de culture générale sur les questions de sécurité avec de futurs décideurs. C’est extrêmement enrichissant et gratifiant même si cela demande un investissement important car, comme vous le savez, l’environnement juridique ou organisationnel de la sécurité évolue continuellement et il faut donc toujours être à jour. Les échanges avec des étudiants curieux et intéressés représentent aussi une soupape de décompression et de fraicheur…
Cette année, j’ai aussi eu l’opportunité d’être membre du jury du concours externe de commissaire de police. Trois semaines d’échanges avec de jeunes futurs commissaires. Nous avons auditionné 100 candidats et dû n’en retenir que 33. C’est un exercice difficile et exigeant car nous avons une lourde responsabilité tant vis-à-vis des candidats qui jouent là une partie de leur avenir qu’envers l’institution. C’est pour cela que ce fut également une expérience très riche humainement et professionnellement.
A plusieurs reprises également, j’ai eu l’occasion d’assurer des missions de formation ou d’expertise à l’étranger. Ce sont là aussi des activités passionnantes. J’ai ainsi conduit une formation d’une semaine en Guinée-Conakry sur la communication relative aux questions de sécurité. J’y ai fait échanger, non toujours sans difficultés, des policiers et des journalistes guinéens. Je suis intervenu à plusieurs reprises auprès des forces de sécurité algérienne sur les problématiques de mesure de la délinquance. J’ai été en Tunisie ou au Maroc pour promouvoir le modèle de l’ONDRP.
Quelles ont été les plus grandes étapes de votre vie professionnelle avant d’intégrer l’ONDRP ?
Avant d’arriver à l’ONDRP, lors de sa création en 2004, j’ai travaillé pendant une dizaine d’années comme directeur de cabinet dans des collectivités territoriales. C’est notamment dans ce cadre que je me suis intéressé aux questions de sécurité (la police municipale m’était rattachée) et aux politiques publiques. C’est une fonction passionnante qui mêle le conseil à l’élu, le suivi des décisions prises par le maire, la gestion de crise, l’organisation, etc. Ce sont des missions palpitantes demandant une grande disponibilité et surtout des capacités d’analyse et de synthèse très importantes. Vous êtes au cœur du processus de décision et vous devez sans cesse vous adapter à des interlocuteurs différents en faisant en sorte de veiller à l’image de votre élu.
Pendant quelques années, j’ai également été élu local chargé de la politique de la jeunesse dans une ville de la banlieue parisienne de plus de 70.000 habitants. Ce fut une de mes expériences les plus formatrices. Grâce à la confiance qui m’avait été accordée par le maire, j’ai pu développer de très nombreuses actions en direction des jeunes de la commune. Cela allait d’activités de loisirs à des dispositifs de prévention de la délinquance. C’est à ce moment-là aussi que j’ai fait beaucoup de terrain et multiplié les échanges avec la population, les jeunes en difficulté, etc.
Ce fut une période intense car, quand on est élu, on est souvent critiqué (même par son propre camp…) et pris à partie. J’étais très jeune à l’époque – j’avais 20 ans – et j’ai donc dû m’endurcir très vite tout en devant faire preuve d’une certaine autorité et parfois batailler âprement pour pouvoir mettre en place les actions que je jugeais utiles pour améliorer la vie des jeunes de la commune.
Par ailleurs, parallèlement à cette activité et à ma fonction de collaborateur de cabinet, je poursuivais mes études de droit…
Un très beau parcours ! A tout cela s’ajoute que vous êtes un auteur reconnu et de bons conseils en matière de lecture.
En effet, en plus de l’enseignement, j’ai eu le plaisir de pouvoir écrire ou co-écrire plusieurs ouvrages me permettant d’une part d’approfondir mes connaissances et, d’autre part, de les faire partager au plus grand nombre en tentant de les rendre accessibles. C’est un exercice assez exigeant notamment lorsqu’il s’agit de format court car il est souvent plus difficile de synthétiser des idées dans un langage clair que d’écrire des kilomètres.
Je ne sais pas si je peux être de bon conseil en matière de choix de lecture. Pour être honnête, en dehors des ouvrages que je dois lire sur ma thématique professionnelle (délinquance, police, sécurité) et qui ne sont pas les plus excitants, j’adore lire des thrillers. Je suis ainsi fan des ouvrages de Jean-Christophe Grangé ou de Maxime Chattam. J’aime aussi certaines biographies historiques et notamment celles écrites par Stepan Zweig à l’instar de celle sur Joseph Fouché. A une époque, je lisais beaucoup d’essais politiques. C’est un peu moins le cas aujourd’hui. Depuis mon enfance, je suis aussi un grand lecteur de bandes-dessinées. Alix, Barbe-Rouge, Yoko Stuno, Buck Danny, Le chant des Stryges ou plus récemment Walking Dead n’ont pas de secret pour moi…
Afin de construire votre carrière, sur quelles formations vous êtes-vous appuyées ? Et pourquoi ces choix ?
Lorsque j’ai commencé à étudier, j’étais passionné par la politique. C’est pour cela que je me suis engagé, au niveau local, très rapidement et que j’ai très vite travaillé dans ce secteur. Parallèlement, et je ne l’explique pas, j’étais aussi très intéressé par les questions de délinquance et notamment par le droit pénal. J’ai donc très vite choisi le droit et j’ai eu la chance de pouvoir étudier à l’Université Paris 2. J’ai pu aussi, parallèlement à ma maitrise de droit, faire une maitrise de sciences politiques, que j’ai poursuivies par un DEA et un DESS.
Mais la formation que j’ai sûrement la plus appréciée ce sont les deux années à l’Institut de criminologie de Paris 2. Autant je pouvais sécher les cours de droit en amphi (et je ne m’en privais pas), autant je ne séchais jamais une matière de l’Institut. Ce fut des cours passionnants, variés, souvent dispensés par des professionnels. De la médecine légale, en passant par la psychologie criminelle, le droit ou encore la police technique, cette formation a confirmé l’intérêt que je portais à la matière. C’est durant cette période que j’ai eu aussi la chance de pouvoir effectuer un stage de trois mois, en immersion complète, dans plusieurs services de police du département des Yvelines. J’ai ainsi pu appréhender les difficultés de travail des policiers et la dure réalité de la délinquance dans certains quartiers. C’est là que j’ai rencontré Luc Rudolph, ancien directeur départemental de la sécurité publique, devenu aujourd’hui un ami, avec qui j’ai écrit de nombreux articles et ouvrages. C’est notamment Luc qui m’a permis d’obtenir les responsabilités que j’exerce aujourd’hui.
En fait, très tôt, grâce à ce cursus mêlant études et activités professionnelle, j’ai ainsi pu confronter la pratique et la théorie…
Vous appréciez les citations, me semble-t-il
J’aime bien la citation de Grégoire Lacroix sur l’erreur : « Le plus grave, ce n’est pas de commettre des erreurs, c’est surtout la façon dont les autres les exploitent ».
Comme beaucoup de personne, car cela nous rassure aussi, j’apprécie la pensée de Talleyrand, « Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console ». De même que celle du même personnage « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». En fait, je pourrais en citer beaucoup de Talleyrand…
… ainsi que voyager notamment
J’aime voyager et m’évader. Le voyage est une véritable passion. Le fait de pouvoir découvrir d’autres cultures, des paysages différents, de pouvoir échanger avec la population locale, est indispensable à mon équilibre de vie. C’est ainsi que j’essaie toujours de faire un ou deux grands voyages par an. J’aime particulièrement l’Asie du Sud-est. La Birmanie et le Laos sont sûrement parmi mes voyages les plus enivrants. Ce sont des pays avec des paysages fabuleux, une richesse architecturale et culturelle, une population attachante et accueillante. Et, en plus, on y mange bien !
En dehors des voyages, et plus classiquement, j’essaie de m’entretenir en faisant un peu de sport (même si c’est plus par obligation que par passion) et surtout j’essaie de passer du temps avec mes amis…
Si j’avais un peu plus de temps, je m’investirais sûrement dans la défense de la cause animale….
Un grand merci pour cet entretien qui permet aux lecteurs de découvrir avec précision et clarté votre parcours professionnel. Et aussi l’homme que vous êtes : passionné et passionnant !
Légendes et copyrights à respecter impérativement :
Photo en Une de l’interview : Portrait de Christophe Soullez © Christophe Soullez
Seconde photo, dans l’interview : Mission d’expertise en Guinée-Conakry, en 2014 © Christophe Soullez