Rencontre avec Simon Buret, acteur et chanteur d’Aaron, génial groupe français dont on a hâte d’écouter les prochains morceaux. Nous lui avons posé des questions et il nous a répondu avec générosité. Nous tenons particulièrement à le remercier pour sa disponibilité. Ce n’est pas seulement une interview c’est une transmission de positif. Pas besoin d’une longue introduction, « Less is more » disait Mies van der Rohe. N’en disons pas plus et laissons-lui la parole.
Pouvez-vous nous raconter comment le groupe Aaron a été formé ? Un soir de mai sur les quais du Canal Saint Martin, j’accompagnais Vanessa Filho (pour qui j’écrivais quelques textes) à un apéritif au bord de l’eau et Olivier était là, la connexion fut lumineuse et timide, et pour la suite, le reste est écoutable aujourd’hui. (Note de la journaliste : Vanessa Filho est la réalisatrice de Gueule d’ange, merveilleux film avec Marion Cotillard).
Vous faisiez quoi avant ? Je sortais juste des Beaux-arts de Bruxelles où j’étudiais l’illustration, et je commençais à gagner ma vie au cinéma, je jouais au mannequin aussi.
Et si vous n’aviez pas été chanteur vous auriez fait quoi ? Je ne me suis jamais vraiment considéré quoi que ce soit. La définition des angles et toujours un exercice pour moi … Je suis ce que je suis au moment où je le traverse. Et j’aime le mouvement, (l’illusion ?) de la liberté d’un corps / cœur créatif.
Le groupe est-il en pause actuellement ? Non. Nous préparons notre quatrième album, avec beaucoup de risques et de plaisir.
Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin (ou le soir) ? L’envie de voir le ciel souvent ; le café sûrement, et j’aime ouvrir grand la fenêtre et laisser la lumière définir les lignes des toits, ou de la mer, ou de son corps. J’aime les premiers sons du tout petit jour, juste avant que la terre tourne à nouveau. La nuit, être le roi du monde, le roi du silence, ou perdu dans les autres encore éveillés, c’est mon bonheur …
En gros qu’est-ce qui vous motive dans l’existence ?
- De ne rien savoir
- La voix de Nina Simone
- Les sons de la nature
- Utiliser au maximum mes cinq sens quotidiennement
- De tenter de (re)transcrire mon monde intérieur
- L’inconnu(e)
Pouvez-vous nous en dire plus ? Je cherche la beauté.
Comment composez-vous vos chansons ? Je ne sais pas, elles viennent à moi la plupart du temps, le texte surgit lorsque la sensation traversée est comprise, je crois. Parfois même je me réveille avec une mélodie, un texte. Parfois Olivier m’envoie une mélodie qui dirigera l’émotion générale. J’essaye de faire des instantanés, des polaroids écrits et musicaux.
Qu’est-ce qui vous inspire ? C’est très égocentrique, j’essaye de marquer les sentiments qui me traversent, d’attraper en mots une sensation, comme retranscrire un paysage. J’ai souvent cette idée qu’un morceau est un paysage de l’âme, avec ces vallées, ces pics, ces profondeurs… Nos mondes intérieurs et extérieurs sont des miroirs je crois, interconnectés, conscients ou non, nous sommes tous la somme de ce(ux) qui nous traversent.
Ecrivez-vous autre chose que des chansons ? De la poésie ? Un roman, des nouvelles, récit de voyage ou autres ? Oui. J’écris ou dessine en permanence, pas toujours dans des cahiers, pas toujours lisible. Je pioche ensuite ce qui sera chanson, poème ou autre.
Pouvez-vous nous dire ce que vous lisez et quel est votre rapport à la littérature ? J’ai toujours plusieurs lectures en même temps, en réserves, entamées, griffonnées, emballées c’est comme aller dans on frigo pour moi et y piocher ce qu’on veut manger, … tout dépend de la journée … J’ai quelques livres de chevet, comme tout le monde, Sinon en ce moment « L’été grec » de Jacques Lacarrière. Je viens de terminer « I’m your man » la fantastique bio de Leonard Cohen par Sylvie Simmons. J’entame « Devotion » de Patti Smith et une collection de Garcia Lorca que j’ai souvent avec moi dans un sac ou une poche. La littérature, comme la culture, est une armure humaine, accessible à tous … Alors j’en profite:-)
Vous êtes également acteur. Quels sont vos projets à venir ? Avez-vous suivi une formation d’acteur ou jouez-vous à l’instinct ? Depuis Mr Cocteau dans la série Genius Picasso, je n’ai pas rejoué. Je suis content de voir que la série a plu, c’était merveilleux et très intense de jouer dans ces conditions exceptionnelles, un homme et un artiste que j’apprécie tant. Cocteau était sans limites, l’effleurer c’était fantastique. Depuis je me suis surtout attelé à l’écriture de notre quatrième album. Pour le jeu, j’ai un projet particulier de cinéma avec Vanessa Filho, qui s’avancera plus tard. J’ai appris en passant par les cours de Robert Cordier, et Valérie Ribakov , puis sur les tournages en regardant Beatrice Dalle « être » son personnage , et non le «jouer » je l’ai vu se laisser envelopper par lui , sa liberté de laisser tout l’espace d’un autre , fictif, la remplir , ça m’a marqué, en écoutant Jean-Pierre Cassel aussi. Il m’a dit qu’il réagissait, plus qu’il n’agissait à l’autre, j’ai aimé ça, une sorte de ballet d’arts martial des mots. Geraldine Nakache m’a appris que tout passait par le ventre. Un jour, Malkovich m’a dit de ne rien faire que l’essentiel, je l’emporte sur scène… On apprend à chaque fois des détails qui feront la suite, c’est valable pour tout d’ailleurs.
Vous postez sur les réseaux sociaux des stories très poétiques ainsi que des références à l’art contemporain, quelles sont vos goûts, vos influences dans ce domaine ? J’essaye de relier celui qui passera ou tapera mon nom dans ce qui me fait, ce que je vois, plutôt de montrer mon petit-déjeuner. J’adore cette phrase d’ Anais Nin, qui dit : “We don’t see things as they are, we see things as we are ». J’aime ouvrir la porte de cette intimité-là à celui ou celle que ça intéresse. L’art en général est un déclencheur de sensations, le monde en est rempli, j’aime mettre du beau, dans l’œil ou l’oreille de l’autre, ça me relie et ça me rassure. Mes influences sont multiples, très grands public, comme Picasso ou encore Basquiat, dont j’ai le fantasme de faire des chansons comme il fait ses toiles. Une somme de détails de bordel qui fait un tout harmonieux. D’autres, plus « niches » comme Gregory Crewdson, certaines œuvres de Tsarouchis. Le livre « Licht über hellas »de Herbert List, les silences de Morandi ou encore la couleur explosée de violence des textes Tomas Tranströmer. ou « Radicaux » de Jean Genet, les céramiques de Bella Silva, parfois des objets oubliés aussi … J’aime les objets d’avant l’invention du plastique . Souvent ils ont une poésie certaine qui était faite pour accompagner dans un quotidien de vie obsolète aujourd’hui, et donc essentiel pour moi. Pour les grands axes : le musée de la chasse à Paris est très étrange, presque magique. Le Moma de New York m’attrape toujours. Lorsque je vais à Londres, aussi j’adore me perdre à la National Portrait Galery. De manière générale, le passé est une source inépuisable d’inspiration.
Vous semblez concerné par notre société, pas seulement dans une posture extérieure au monde mais sincèrement concerné, vous avez posté par exemple des stories sur les gilets jaunes toujours très positives, soulignant davantage l’esprit de groupe, de solidarité que les débordements. Voulez-vous vous exprimer sur ce sujet ? Etes-vous engagé politiquement ou juste humainement ou les deux ? Pensez-vous qu’un artiste doit s’engager ? Je pense que tout artiste est le reflet de son époque. Comme je l’ai dit auparavant nous sommes ce qui nous traverse. J’aime aussi, et j’en ai besoin, chercher le lien aux autres dans la lumière plutôt que dans le sombre, sans l’ignorer, par exemple après les attentats, ce qui me reste comme sensation, comme souvenir, sont les millions de gens spontanés dans la rue le lendemain de l’horreur. Je crois que l’homme est de manière générale bien plus connecté à l’autre qu’il le pense. Ma voix sur scène est le reflet de millions d’autres, j’ai juste un micro. Pour le quotidien, je crois encore que tout est possible chaque jour, et que l’homme est capable aussi du meilleur. Je crois que nous sommes à l’aurore d’un monde nouveau, peut-être. Aujourd’hui la plupart des gens ont accès à l’information, c’est très récent, la planète a rétréci, avec elle la conscience d’un tout a grandi, et nous sommes tous connectés à ce qui se passe. Que ce soit en terme de pollution, écosystème, souffrance animale, droit sociaux … Les choses bougent, avec violences souvent mais elles bougent. Depuis l’histoire de l’homme le sang existe, les guerres, les inégalités des sexes, le contrôle des sexualités, la domination de l’autre par la peur, mais c’est très nouveau que les gens se rassemblent de manière globale, grâce à Internet, pour contrer les dommages et la bêtise, après il y a beaucoup de boulot … Mais je suis intimement persuadé que quand je serais vieux, le monde sera équilibré.
On ressent l’amour dans vos publications et chansons. Êtes-vous amoureux (Au sens large, amoureux d’une personne ou de la vie ou les deux) en ce moment ? Oui. Je suis amoureux de la nature, du monde souvent, d’un cœur peut-être, parfois même de morceaux de la journée, d’un souvenir … On peut aimer profondément les murs à la chaux blanche d’un village grec, par exemple.
Que pensez-vous du couple ? Un artiste doit-il cultiver la solitude ? Le couple est merveilleux, et peut devenir la mort de l’autre aussi. On nait seul, et puis on s’accompagne le mieux qu’on peut, parfois même avec brio… Je pense que la solitude est nécessaire lors de la création, peut-être. Le couple est une merveilleuse illusion à la solitude, un pansement sur l’inconnue de la nuit humaine, aimer et être aimer est la seule chose qui compte je crois. L’amour de l’autre, l’amour de soi… Le couple de doit pas être un finalité sociale, en tout cas.
Vous voyagez beaucoup. Le voyage est-il essentiel à votre équilibre ? Vous aide–il à construire votre parcours artistique et humain ? Oui complètement, il fait prendre du recul, ouvre de nouvelles possibilités … De toute façon la seule permanence des choses de la vie, c’est le mouvement. Tout bouge tout le temps, et nous avec. Nous sommes tous des nomades, même les plus sédentaires d’entre nous. Le voyage de l’âme ou du corps, je crois que ça rajoute des points de vies. C’est un besoin vital pour moi. Même la simple promenade, est nécessaire. La chose essentielle qu’on se doit de garder de l’enfance c’est la curiosité, et à mon sens l’œil n’est jamais plus curieux que lorsqu’il voyage. L’enfance habite le cœur des voyageurs.
Vous pouvez ici parler de tout ce que vous voulez. Alors, prenez soin de vous. Et merci 🙂 S
Merci beaucoup Simon. Le prochain album du groupe Aaron est en cours d’écriture. Site Internet du groupe : http://aaronofficial.com/ Patience il y aura bientôt de nouvelles chansons à découvrir.