Les terres ancestrales d’Irlande s’étendent depuis le nord-est du lac de Carlingford en passant par Cork au sud, Athlone au centre et Limerick jusqu’à l’embouchure du Shannon. Partir à la découverte de l’Ireland’s ancient East, c’est faire un voyage à travers 17 comtés et 5000 d’histoire…
« Vous arrivez avec le temps irlandais », lance Matthew le chauffeur de taxi qui m’attend à mon arrivée à l’aéroport de Cork. Dehors, la bruine épaisse a laisser la place à une vigoureuse pluie pénétrante qui mouille en cinq minutes jusqu’aux os. Nous sommes début septembre. « Not so bad ». Pas trop mal pour la saison. « De toute façon il peut faire beau dans une heure ». Bienvenue en Irlande, Céad míle fáilte en gaélique ! Les habitants de la verte Erin cultivent un sens inné de l’hospitalité qui met tout étranger à l’aise en deux minutes. Il faut dire qu’ils habitent sur une terre ancestrale couverte de manoirs, de pubs, de brasseries et de distilleries. La patrie de Brian Boru et de Samuel Beckett s’enorgueillit également d’une multitude de paysages légendaires à couper le souffle, battus par les vents, rythmés par les larges éclaircies et régulièrement arrosés par environ vingt-deux sortes de pluie différentes. Une particularité climatique qui fait souvent vivre aux visiteurs les quatre saisons dans une même journée… Après quelques minutes de trajet, nous entrons dans le centre de Cork la deuxième ville de la République gaélique qui depuis toujours se pique de rivaliser avec Dublin. « Nous avons la plus haute tour du pays 22 étages. Chez nous il n’y a de construction en hauteur, ce n’est pas comme à New York ou à Shanghai ». Entre musées, patrimoine, concerts, bonne chère et balades touristiques, il est difficile de s’ennuyer à Cork. Cette cité étudiante fait partie de ces villes irlandaises, qui connaissent actuellement un essor économique et culturel tout à fait exceptionnel.
Position stratégique
Cork se développe dès le 6e siècle, période au cours de laquelle Saint Finbarr fait bâtir un monastère où les prêtres et les dévots se réunissent autour de l’apprentissage ecclésiastique. Cette vie monastique s’étend peu à peu, formant alors un véritable hameau spirituel et intellectuel où l’on enseigne le savoir de l’époque, la maîtrise des textes anciens, ainsi que l’apprentissage du gaélique. Au fil des ans, Cork se développe et se dote de remparts, dont certains sont encore visibles aujourd’hui. Au 8e siècle, la ville subit les invasions Vikings et elle doit être rebâtie à plusieurs reprises. Au 12e siècle, l’influence de la ville est déjà très étendue et elle devient alors la plus importante cité du royaume de Munster. Très vite, la position stratégique de Cork attise la convoitise des Anglais. Ces derniers l’annexent en 1185, lorsque Jean d’Angleterre signe la charte de la ville. Cet acte déclenche de nombreuses batailles opposant au cours des siècles Anglais et Irlandais jusqu’à l’épisode sanglant de la répression en 1690 des armées protestantes de Guillaume d’Orange. Au 18e siècle, l’agglomération vit de plein fouet le désastre de la Grande Famine et perd plus de 25 % de sa population. De nombreux habitants décident alors d’émigrer vers les États-Unis,
Cork la rebelle
Au tournant du 20e siècle Cork se déclare en faveur de la création d’un État Libre d’Irlande et affirme sa volonté farouche de se soustraire de l’oppression anglaise. Ses habitants soutiennent massivement les actions de l’IRA (Irish Republican Army), protégeant des activistes comme Michael Collins. Au cours de cette lutte, Cork paiera au prix fort son engagement, avec notamment l’incendie de l’hôtel de ville par les Black and Tans. Cette insoumission face à l’occupant britannique vaudra à la ville une réputation de « rebelle » dont elle se revendique encore aujourd’hui notamment face à Dublin. A partir de la seconde moitié du 20e siècle, Cork fait au sein de la République d’Irlande sa mue industrielle. C’est l’époque des investisseurs qui engagent des capitaux dans le développement des chantiers navals, des sociétés pharmaceutiques et des industries de pointe. Après les années d’exceptionnelle croissance qui ont marqué l’émergence du Tigre Celtique et la terrible crise de 2008 qui en a été son corollaire, Cork connait aujourd’hui dans tous les domaines un bel essor et renoue avec la prospérité. Du côté des papilles, en plus des bières brunes comme la Murphy’s ou la Beamish, ses bières locales sont en pleine essor, avec des brasseries telles que Eight Degrees Brewing, Rising Sons ou encore Elbow Lane. Et pour les férus de bières artisanales, une halte au pub-brasserie Franciscan Well Brewery s’impose afin de déguster sans détour une choppe de Blarney Blonde, Rebel Red ou Shandon Stout.
Annie Moore Monument
Située sur la côte sud de Great Island, Cobh est une petite ville charmante connue pour son grand port maritime. Intégrée au sein des infrastructures portuaires de Cork, son centre est renommé pour ses petites rues aux maisons colorées où il est agréable de flâner le temps d’une balade. La cité maritime de Cobh et son histoire à la fois douce et amère est d’ailleurs l’une des excursions les plus populaires au départ de Cork. Depuis des décennies, le cœur de sa population bat au rythme de l’arrivée et des départs des bateaux. Autrefois principal port d’émigration d’Irlande notamment au moment de la Grande Famine, Cobh fut le 11 avril 1912, le dernier port d’escale du Titanic. Son histoire y est d’ailleurs magnifiquement racontée dans les anciens bureaux de la White Star Line. En face du Cobh Heritage Centre, la statue d’Annie Moore (Annie Moore Monument) commémore l’émigration irlandaise vers les États-Unis. Elle rend hommage à Annie Moore (1874-1924), qui fut la première émigrante irlandaise à rejoindre New York en passant par Ellis Island le 1er janvier 1892. Représentée avec deux enfants pointant du doigt l’horizon, elle symbolise tout l’espoir de ses compatriotes qui ont quitté aux 19e et 20e siècles par dizaines de milliers l’Irlande pour l’Amérique dans l’espoir d’une vie meilleure.
Château médiéval
Un peu plus loin vers l’Est, dans le comté de Waterford, le Lismore Castle est un superbe château médiéval en bordure de la rivière Blackwater. Le cours d’eau est bien connu des pêcheurs pour ses saumons qui viennent y frayer en abondance l’été. Propriété du duc de Devonshire, la fière demeure aux tours crénelées a été rénovée au 19e siècle dans un style grandiose, gothique et féodal. Les origines de l’édifice remontent au moyen-âge, lorsque Prince John fit construire en 1185 un premier “castellum”. A son accession au trône d’Angleterre, le château devint la résidence et le palais de l’évêque jusqu’en 1589, date à laquelle il fut habité puis acheté par Sir Walter Raleigh, jusqu’à son emprisonnement à la Tour de Londres en 1602. Ecrivain, poète, courtisan, officier et explorateur anglais, il se concilia un temps les bonnes faveurs d’Elisabeth 1ere qui en fit son confident. Après avoir introduit la pomme de terre et le tabac sur l’île, il combattit les révoltés irlandais avant d’être définitivement disgracié sous Jacques 1er et finalement exécuté en 1618. C’est Richard Boyle le premier comte de Cork, père de Robert Boyle l’inventeur de la chimie moderne qui acquiert finalement le château après l’enfermement de Raleigh. Au fil des générations, le domaine s’est transmis de père en fils, jusqu’en 1645, où il est dévasté par les guerres sous Cromwell. Le style architectural actuel du château n’a été développé qu’au 19e siècle, par le 6e duc du Devonshire (1790-1858). Depuis, l’apparence du château n’a guère bougé entouré par ses magnifiques jardins décorés de sculptures contemporaines. Aujourd’hui, ses vastes pièces de réception peuvent être louées pour des réceptions et des mariages.
Ile privée
Autre lieu, autre ambiance, érigé dans un cadre magnifique avec à ses pieds la rivière Suir, le luxueux Waterford Castle Hotel & Golf Resort se dresse sur une île privée complètement détachée du continent. Le château propose des chambres et des suites élégantes offrant une vue imprenable sur l’eau et les pâturages verdoyants. Véritable havre de paix au milieu des hêtres et des chênes centenaires, il est possible d’accéder à l’île en voiture via un ferry privé qui navigue tout au long de la journée. La traversée dure 3 minutes, et elle peut être organisée par l’hôtel. Le propriétaire d’origine irlandaise vit depuis 25 ans en Australie. C’est pour cela que le drapeau des Wallabies flotte en haut des tours du château à côté de celui de la nation celte. « Nous accueillons beaucoup de mariages locaux quelque fois traditionnels mais également beaucoup de cérémonies d’expatriés, Etats-Unis, Canada, Australie, pays du golfe. Je me souviens qu’un marié voulait un spectacle Viking et un faucon est venu se poser sur son bras pour apporter sa bague à sa promise » explique Bernadette Walsh responsable marketing de ce domaine de 52 acres. Un parcours de golf de 18 trous, un practice de tir à l’arc, des terrains de tennis et de croquet, viennent compléter ce tableau idyllique, tandis que plusieurs sentiers de découverte et de randonnée sont disponibles pour les promeneurs et les marcheurs des alentours.
Single estate, single malt
Dernière halte champêtre et patrimoniale à Curraghmore qui signifie littéralement « grand bateau » en langue irlandaise. Là encore, les visiteurs ont rendez-vous avec l’Histoire puisque le château initial a été fondé par une famille de Normandie venue dans les bagages de Guillaume le Conquérant en 1066 pour la bataille d’Hastings. Dans l’entrée, un porte parapluie en trompe d’éléphant et un porte-canne en pied de pachyderme attirent l’œil. La salle suivante est en fait un véritable cabinet de curiosité à la gloire de l’Afrique coloniale. Il s’agit des souvenirs de campagne de l’un des illustres propriétaires du château, Lord William Beresford. Un grand chasseur de fauves devant l’éternel qui fit la campagne contre les Zoulous en Afrique du Sud et reçu la Victoria Cross. La visite se poursuit dans les pièces de réception de cette belle bâtisse entièrement rénovée dans le style néo-classique par l’architecte James Wyatt à la fin du 19e siècle. Au beau milieu des tentures aux couleurs vives et du mobilier ancien, les amateurs d’art pourront admirer une collection inattendue de toiles de maîtres, Rubens, Véronèse ou encore Honthorst. Signe des temps, depuis quelques années le domaine situé près de Portlaw développe sa propre marque de Whiskey. Les responsables du projet s’inspirent de l’expérience réussie des frères Teeling (Jack et Stephen). Héritiers d’une longue dynastie de distillateurs artisanaux et indépendants, ils ont inauguré en 2015 la première distillerie à Dublin depuis 125 ans. « Le tourisme autour du whiskey est en train d’exploser en Irlande malgré le prix élevé des bouteilles. Nous voudrions également faire de Curraghmore un centre d’entrainement équestre. C’est un haras renommé qui accueille déjà 26 chevaux en résidence » explique le fils de la maison qui est aussi un joueur de polo professionnel en Angleterre. Fidèle à ses traditions, Curraghmore, organise régulièrement à l’automne des chasses aux faisans qui attirent des amateurs de toute l’Europe et compte prochainement se lancer dans l’organisation de mariages.
Pavillon tapissé de coquillages
Dans le parc boisé et quelque peu mystérieux de cette immense propriété de 2400 acres se niche une autre curiosité. En 1740, Catherine de Curraghmore, comtesse de Tyron, a construit dans un petit recoin du jardin un pavillon en forme de croix, dont l’intérieur est entièrement tapissé de coquillages. Par cette folie, elle désirait avant tout proclamer sa foi et rendre hommage à ses origines catholiques. Pour souder les coquillages que les marins pêcheurs lui ramenaient de la côte par charrettes entières, elle a utilisé une grande quantité de glaise et de purin de porc. Il lui a fallu trente ans pour terminer son œuvre. Sa statue virginale trône désormais à jamais au milieu de sa création conchylicole… « Voulez-vous quelque chose, une boisson, un sandwich, un produit détaxé ? Etes-vous certain ? Parce que c’est votre dernière chance de dépenser de l’argent ». Dans l’avion du retour, les hôtesses de l’air de la compagnie nationale Aer Lingus toutes de vert vêtues, plaisantent gentiment avec les passagers. C’est aussi cela le charme de la République gaélique. Un mélange de sérieux et de dérision, l’attachement aux valeurs traditionnelles et un esprit décalé à toute épreuve. Tombes préhistoriques, sites monastiques, tours, châteaux, jardins et manoirs, villes et villages pittoresques, les terres ancestrales d’Irlande sont un concentré d’histoire, de rencontres chaleureuses et inattendues et de paysages inoubliables…
Le site de l’Office de Tourisme d’Irlande est très bien fait. Il vous aidera à organiser votre séjour en toute sérénité.
Voici les lieux que j’ai testé et apprécié :
– Hôtels : Imperial Hotel Escape – Lismore Caslte Lismore Castle arts Lismore Castle gardens
– Restaurant & Bar : Aherne’s Seafood Restaurant and Bar
– Visite : Curraghmore House
– Compagnie aérienne : Aer Lingus qui fête cette année ses 80 ans est la compagnie nationale régulière irlandaise. Elle dessert plus de 70 destinations à travers l’Irlande, le Royaume-Uni, l’Europe continentale, les Etats-Unis et l’Afrique. Les départs et arrivées sur Cork et Dublin se font depuis l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle et depuis plusieurs autres villes françaises : Bordeaux, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Perpignan, Rennes et Toulouse.
Pour les gourmands, Lismore Food Company
En octobre 2014, la Lismore Food Company sortait pour la première fois une gamme de biscuits sucrés. Issus d’une famille de boulangers depuis plus de 200 ans, les fondateurs BathAn Smith et ses frères Owen et Ken…continuent leur tradition de fabrication en utilisant les meilleurs ingrédients incorporés au pur beurre irlandais. L’ingéniosité et le savoir-faire des frères qui ont créé de toute pièce cette gamme originale et le goût très sûr et affirmé de BathAn a fait émergé un large choix de nouveaux parfums. Pour le plus grand plaisir de tous les gourmets.
A lire avant de partir, Philippe Bagau, Ireland, mon Irlande, le guide amoureux de l’Irlande (Amazon)
Profondément amoureux de l’Irlande depuis 30 ans, Philippe Bagau réside sur, Sheep’s Head une presqu’île sauvage et magnifique du West Cork. Pour lui, l’Irlande est tout à la fois, la mère, l’épouse et l’amante tant son attachement à cette terre est instinctif, évident et physique. Guide depuis de nombreuses années, il a souhaité rédiger cet ouvrage à la manière d’un dictionnaire amoureux, passionné et documenté. Plus qu’un livre érudit, un merveilleux compagnon de voyage qui donne aux lecteurs des informations et des anecdotes qu’il serait difficile de trouver dans un guide classique.
Bon voyage !