Femme politique au destin exceptionnel, Simone Veil se raconte. Dans son ouvrage Une vie, elle se définit comme citoyenne de l’Europe. En voici un passage plein de panache.
Comment ne pas conserver une nostalgie de ce parcours européen au cours du quel j’ai rencontré tant de personnalités marquantes ? Je crois encore entendre Helmut Schmidt me répéter, avec insistance, à propos de la réunification allemande, au début des années 1980 : « Nous ne le verrons peut-être pas, mais nous la préparons par tous les moyens, et notamment par le sport, par la culture. » Il était d’une intelligence aiguë, et disposait d’un esprit plus fin qu’Helmut Kohl, qui en revanche m’impressionnait par la vigueur de ses convictions.
Je revois aussi Margaret Thatcher, moins désagréable que sa légende ne l’a affirmé. Lorsqu’elle a rendu visite au Parlement Européen, alors que son pays assurait la présidence du Conseil, elle ne s’est pas acquittée, comme tant d’autres chefs de gouvernement, d’une simple formalité. D’ailleurs, l’ambiance n’était pas à la politesse : ce jour-là, les parlementaires de gauche arboraient un brassard noir en signe de deuil… Quand Margaret Thatcher a commencé à répondre aux questions qui lui étaient posées, tout le monde a été surpris par sa compétence et le brouhaha a fait place à un silence attentif. J’ai ensuite déjeuné en tête à tête avec elle ; c’était une femme sèche, assez dure, mais très au fait de tous les dossiers.
Je conserve un souvenir particulièrement fort du couple Clinton. Lui, chaleureux, sympathique, doté d’une réelle présence. Elle, d’intelligence brillante, s’exprimant avec une parfaite aisance, comme souvent les hommes politiques américains en sont capables, détaillant ses arguments avec efficacité et simplicité. Je crois bien qu’à ce jour, elle est, avec la présidente sortante de Lettonie, Mme Vaira Vite-Freiberga, l’une des deux femmes politiques qui m’ont fait la plus forte impression. Les autres présidents américains me sont parus assez conformes aux images que le grand public en a conservées.
Ronald Reagan, remarquable comédien, était doué face à la caméra d’un sens instinctif de la parole, du geste et du regard. Bush père était sympathique, agréable et fin.
Parmi les nombreuses personnalités que j’ai rencontrées, en tant que présidente du Parlement, la personne qui m’a le plus fascinée demeure Anouar al-Sadate. Avec Claude Cheysson, j’avais eu l’idée de le envier, après son voyage à Jérusalem, à prendre la parole devant le Parlement européen. Au cours d’une séance tenue à Luxembourg, il s’est exprimé avec conviction et talent. C’était un homme hors du commun., charismatique. Lorsque nous avons déjeuné tus les deux, après la séance, et fort tranquillement, je lui ai demandé comment il avait réglé le problème de Jérusalem. Il a souri avant de me répondre : « Le jour où il ne restera plus que le problème de Jérusalem à régler, c’est que nus aurons beaucoup progressé, et alors, ne vous inquiétez pas : nous trouverons des solutions « . Bien des années après, comment ne pas déplorer que la situation israélo-palestinienne, loin de s’améliorer, soit devenue plus ardue qu’elle ne l’était alors ? A cette époque, pour un certain nombre d’Israéliens, l’hypothèse d’un Etat palestinien était quasiment acquise; elle n’a cessé depuis de s’estomper.
Parfois je repense également à toutes les actions menées durant mes treize années de présence au Parlement européen. J’ai ainsi présidé un groupe d’experts sur la libre circulation des personnes, où j’avais tenu à souligner que si les fonctionnaires de la Commission étaient très européens, ils étaient de profil technocratique, souvent coupés des réalités nationales. Autre moment fort dans mes souvenirs : pendant dix-huit mois ou deux ans, j’ai pris part à la préparation du Sommet de la Terre, programmé à Rio pour l’an 2000. A l’origine, il n’avait pas été prévu d’y traiter de la santé, mais l’OMS a comblé cette lacune et m’a demandé de présider un groupe de travail auprès de Mittérand. Ainsi fût le point de départ d’une politique mondiale de l’environnement.
Au fond, tout au long de ma vie, j’ai eu la chance de pouvoir m’investir à ouvrir des brèches dans le conformisme ambiant, de mettre en convergence les phénomènes de société et les cadrages juridiques.
Paix à Simone Veil qui marquera la scène politique nationale, européenne et internationale pour ses actions menées de front. Ses actions de défense de l’IVG ont marqué toute une génération.