Pour l’immense majorité d’entre nous, la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle qui peut être qualifiée de « désagréable », voire d’ « insupportable ». Et même si la perception de la douleur est très subjective et varie d’une personne à l’autre, nous aurions tendance à penser que l’inclinaison naturelle d’un être humain « normalement constitué » est de l’éviter à tout prix !
Est-ce si évident que cela ?
Sous la direction du neuroscientifique Archy de Berker, une équipe de chercheurs a récemment étudié les liens entre douleur, stress et incertitude. Les résultats de cette expérimentation tout à fait scientifique, menée sous l’égide de l’University College de Londres, sont pour le moins surprenants !
Dans le cadre de l’expérience, il était demandé à des participants volontaires de jouer à un jeu sur ordinateur dans lequel ils devaient retourner des pierres ; certaines recouvrant des serpents et d’autres non. Ils devaient deviner s’ils allaient trouver ou pas un serpent sous chacune des pierres. S’il y avait effectivement un serpent sous la pierre qu’ils avaient choisi de soulever, ils recevaient une légère décharge électrique sur la main.
Au fur et à mesure de la progression du jeu, les participants ont commencé à identifier les pierres qui étaient le plus susceptibles de cacher des serpents. Mais le jeu avait été conçu pour qu’à un certain moment, les probabilités de pouvoir identifier les pierres changent, afin d’introduire une plus grande dose d’incertitude pour les joueurs.
En mesurant le niveau de stress des joueurs à travers diverses manifestations (attitudes comportementales, dilatation des pupilles, transpiration, …), l’équipe de recherche est arrivée à la conclusion que les participants étaient davantage stressés lorsqu’ils ne savaient pas s’ils risquaient de subir une décharge électrique que lorsqu’ils étaient sûrs et certains d’en recevoir une.
Pour Archy de Berker : « Notre expérience permet de tirer des conclusions sur l’impact de l’incertitude sur le stress. Nous avons découvert qu’il était bien pire de ne pas savoir si vous allez recevoir une décharge électrique que d’être sûr que vous allez – ou pas – en recevoir une. En utilisant ce modèle, nous avons pu prévoir le niveau de stress de nos sujets, non seulement à partir des chocs électriques mais en intégrant leur degré d’incertitude par rapport à ces chocs. »
De plus, bien que le stress soit vu comme une réponse plutôt négative et souvent contre-productive, l’étude a néanmoins révélé un bénéfice positif. Les participants dont le niveau de stress était à son maximum lors des phases de plus grande incertitude étaient plus performants pour distinguer les pierres qui risquaient de cacher un serpent par rapport à celles qui étaient inoffensives.
C’est la première fois que l’effet de l’incertitude sur le stress est quantifié dans le cadre d’une étude scientifique. Ces conclusions nous semblent d’ailleurs assez logiques lorsqu’elles se déclinent dans notre vie de tous les jours.
Comme l’explique le Dr Robb Rutlege, co-auteur de l’étude : « Lorsque vous postulez à un job, vous vous sentirez probablement beaucoup plus relax si vous considérez que vous n’avez aucune chance ou si vous êtes sûr de décrocher le poste. Le scénario le plus stressant est lorsque vous n’en savez absolument rien. C’est l’incertitude qui nous rend anxieux. La même chose s’applique dans beaucoup de situations de la vie de tous les jours, que ce soit lorsque vous attendez des résultats médicaux ou des informations sur un retard dans les transports. »
Pour le Docteur Sven Bestmann, autre co-auteur de l’étude : « Si la vie moderne apporte de très nombreuses sources d’incertitude et de stress, elle a également introduit des nouveaux moyens d’y répondre. Par exemple, les applis de taxis qui renseignent sur la position exacte de la voiture permettent de réduire grandement l’anxiété. Même chose pour l’affichage en temps réel des horaires de passages des bus ou des métros. »
En clair, il est moins stressant de savoir que l’incident d’exploitation sur votre trajet va vous faire perdre une heure que de ne pas savoir à quelle heure passera le prochain train, même si l’impact sur votre emploi du temps est bien moindre à l’arrivée.
Source : « Computations of uncertainty mediate acute stress responses in humans », article paru dans Nature Communications – www.nature.com/ncomms